Claire Pelletier : Carte blanche
Réfugiée dans son antre des Cantons-de-l’Est, Claire Pelletier a donné vie à son quatrième album, Ce que tu donnes. Elle le remet maintenant entre les mains du public québécois.
Enfant de Kamouraska, femme des grands champs blancs, elle était tout sourire. C’était une des premières vraies journées froides de l’hiver, de ce froid clair et cristallin qui coupe le souffle dans une blancheur qui éblouit. Marchant ensemble jusqu’au café, quelques mots échangés sur la situation pas toujours rose de la chanson au Québec et des producteurs de spectacles qui parfois n’ont pas la vie facile. Assises devant un thé bien chaud, la discussion bifurque tout naturellement vers le dernier-né de ses albums qui, il faut l’avouer, a fait jaser un brin ceux qui suivent la dame depuis quelques années. "J’aurais pu faire un autre Galileo, tu sais, reconnaît-elle d’emblée, mais qu’est-ce que ça aurait donné? J’avais envie de me renouveler, d’évoluer vers autre chose. Je savais que ça allait déstabiliser." En effet, l’incursion de la musique électronique dans cet univers qu’on a connu folk, acoustique, celtique, voire médiéval en a surpris plus d’un. Mais la chanteuse semble assumer totalement et avec sérénité cette nouvelle direction. "Je vais peut-être perdre quelques fans, reconnaît-elle, mais j’en gagnerai d’autres. Et je devais aller au bout de mes idées. Mais c’est ça la critique: quand tu ne changes pas, tu te le fais dire; et quand tu changes, tu te le fais dire aussi!" Quoique, fondamentalement, Claire Pelletier soit restée Claire Pelletier jusque dans ses silences. On retrouve sur ce quatrième album comme sur les trois autres ce son pur, ces harmonies si caractéristiques et cette voix, cristalline, lumineuse. Il faut dire aussi que l’utilisation de l’électronique ne s’est pas faite de façon si abrupte et sans crier gare. Déjà dans Galileo, Pierre Duchesne, compositeur et musicien complice de la chanteuse depuis le début, avait développé cet aspect de sa musique. Cette percée électronique ne vient pas non plus supplanter les instruments plus traditionnels. Clarinette, duduk, flûte irlandaise, vielle à roue, harpe, ensemble à cordes et tutti quanti côtoient allègrement les sons synthétiques auxquels ils s’allient et s’amalgament. "En construisant les chansons, et tout en explorant du côté de l’électronique, on s’est rendu compte qu’on entendait des cordes, un ensemble de cordes. On voulait vraiment avoir l’effet d’ensemble. On a enregistré avec l’Orchestre de Prague, ce sont des musiciens incroyables qui se marient très bien à la musique populaire. C’est pour dire qu’on a vraiment voulu faire un album de contraste entre des sons très organiques comme la voix ou les instruments traditionnels et les sons électroniques. On s’est délibérément placé dans cet angle-là", explique la chanteuse.
UNE MUSIQUE SANS INSTRUMENTS
Cette "évolution vers autre chose", on la retrouve aussi au niveau des textes. Les deux premiers disques étaient campés dans des époques, des lieux ou des thèmes plus définis. D’inspiration médiévale, Murmures d’histoire (1996) se promenait à travers diverses légendes, tandis que chaque chanson de Galileo (2000) racontait un personnage illustre sur une musique plutôt celtique. "Cette fois, j’avais envie de textes plus intemporels. On s’est laissé guider par des impressions, des émotions. Je trouve que les chansons sont impressionnistes, comme des petits tableaux. C’est un album beaucoup plus émotif qu’historique", note Claire Pelletier qui a encore une fois fait appel à Marc Chabot pour ses textes. Si elle ne compose pas elle-même ses textes, la chanteuse affirme travailler très étroitement avec son parolier. Certaines chansons sont des commandes plus précises, sur un sujet, un concept, une émotion. D’autres sont puisées à même l’inspiration du parolier, une anecdote, une historiette. "Marc arrivait avec des textes très structurés, très symétriques, des vers réguliers avec un refrain et tout. Mais musicalement, avec Pierre, on avait le goût de s’éclater davantage, d’aérer aussi. On a demandé à Marc de casser le moule, de déstructurer tout ça. On a cherché une autre façon de faire. Cet album a demandé beaucoup d’ouverture de la part de tout le monde, mais j’ai senti que j’avais vraiment une grande liberté dans tout, de la musique à la pochette", mentionne celle qu’on n’imagine pas autrement que totalement libre, tel le vent soufflant sur les glaces de Kamouraska.
LA VIE, LA SÈVE ET LE SANG
Pas de concept précis et délibéré pour ce quatrième album, mais si on voulait lui en trouver un, il suffirait de prendre le titre qui le coiffe: Ce que tu donnes. Au fond, tout s’y résume. "Dans chacun des textes, il y a un rapport avec le don. À travers nos amours, nos amitiés, à travers l’art, la culture, la danse, le chant, tout ça." Que ce soit dans la chanson-titre – en duo avec Stephan Eicher – ou dans toutes les autres (Le Chant des sirènes, Le Merisier, qui a inspiré la pochette, Le MaÓtre et l’Esclave, La Danse, Sans l’oublier…), le don revient tel un leitmotiv, parfois évident, parfois sous-entendu. D’un bout à l’autre et dans tous les sens, les thèmes qui respirent entre chaque vers semblent inéluctables pour l’artiste, comme son propre souffle. Le silence, la lumière, le souvenir et l’oubli, le mystère et l’imaginaire, la nature à l’état sauvage, la liberté. Et le froid. Dans Tout au nord de moi, cette chanson dédiée à Jean Désy, poète du Grand Nord, toute l’immensité de l’hiver tient dans la voix blanche de cette femme polaire. Ces paysages aérés et bruts, baignés de clarté, où le vent siffle sans entrave lui vont comme un gant. "J’explore beaucoup la musique du Nord", dira-t-elle elle-même. "Il n’y a pas un brin de musique brésilienne dans mes albums. Je suis une chanteuse nordique!"
SUR SCÈNE
Depuis quelques semaines, la tournée est partie pour une bonne ronde, de Gatineau à Havre-Saint-Pierre. Sur scène, la chanteuse s’est entourée de Pierre Duchesne, évidemment, de la violoniste Stéphanie Labbé "qui est toujours là" et d’Éric Senécal, ex-membre du groupe Villeray, aux claviers et aux voix. "On est une petite formation, mais on peut reproduire sur scène la technologie qu’on entend dans l’album." Certaines chansons des albums précédents ont été revisitées pour se rapprocher davantage de l’aspect sonore du dernier opus. "Je sais que ça ne plaît pas à tout le monde qu’on ait des machines sur scène. Moi ça ne me dérange pas. Les machines ne sont pas là pour remplacer quelqu’un, elles font partie intégrante de la musique." Comme l’équipe est restreinte, elle dispose aussi d’une plus grande marge de manouvre. Rien n’empêche même de penser à une tournée de petites salles après ce tour de piste. En fait, dans tout ceci, "l’important, c’est de se garder la liberté de faire ce qu’on a envie de faire et d’être cohérent. J’ai entrepris ma carrière de cette façon…." et ce n’est pas demain la veille qu’on domptera Claire Pelletier.
Ce que tu donnes
Claire Pelletier
(Octant Musique)
Le 8 février
À la Salle Maurice-O’Bready
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