Antony : La métamorphose
Baroque et intrigant, Antony livre ses histoires de bonnes femmes avec la voix d’un oiseau-mouche. Rencontre avec le petit protégé de Lou Reed et de Boy George, avec l’ami proche de Rufus Wainwright et de Devendra Banhart.
Le disque d’Antony s’est retrouvé sur nos bureaux juste un peu avant les Fêtes, impossible de le manquer, ne serait-ce qu’en raison de l’étiquette toute sobre annonçant pourtant des invités de marque (Lou Reed, Devendra Banhart, Boy George, Rufus Wainwright), mais aussi pour cette photo le coiffant, celle de Candy Darling, un des travestis superstars d’Andy Warhol, photographié(e) sur son lit de mort, image porteuse d’une sensualité un peu morbide, fatale. "Ça fait dix ans que cette photo m’obsède. Jamais je n’aurais pensé qu’un jour elle se retrouverait en couverture de mon disque. C’est comme si un de mes rêves les plus fous s’était réalisé, s’enthousiasme le New-Yorkais d’origine anglaise. Je me sens une grande affinité avec la perspective du photographe Peter Hujar. Les thématiques existentielles qu’il aborde à travers ses photos – vie, mortalité, transformation et mystère – m’apparaissent, à plusieurs égards, comme la représentation holistique d’un pan de ma propre sensibilité."
Fascinant personnage, cet Antony dont la voix d’homme, au téléphone, contraste avec le chant baroque, candide, à vif qu’on entend vibrer sur les dix pièces d’I Am a Bird Now, lancé ce mois-ci, une jolie collection de dix histoires de femmes, narrées par un papillon pris dans une paume. "One day I’ll grow up / And be a beautiful woman / But for today I am a child / For today I am a boy", chante Antony avec ce timbre rare et frêle. "J’ai appris à chanter quand j’étais enfant, dans les chorales d’église. Puis je me suis intéressé à Kate Bush, Boy George; un peu plus tard, j’ai écouté Otis Redding, Billie Holiday et Nina Simone. Ma voix est un amalgame de mes influences: des artistes des années 80, une poignée de chanteurs folk, et quelques grandes voix noires. Mais c’est Boy George qui influença le plus mon désir de devenir chanteur, puisqu’il est le premier reflet de moi que je rencontrai dans le monde. Je m’étais alors dit: "Ah, voilà ce que l’on fait quand on est comme moi, on devient chanteur"", confie-t-il à cœur ouvert.
ÂMES SOURS
Le duo en compagnie de Boy George, rien de moins qu’une déclaration de sororité, compte parmi les (nombreux) moments saisissants de ce deuxième disque. Écrite au départ pour sa propre sœur, mais détournée de sa trajectoire, la pièce prend un tout autre sens lorsque Boy George, émouvant de justesse et de dévotion, se l’approprie. "C’est ce que j’aime avec les duos. Interprétés par quelqu’un d’autre, les textes changent de signification, le sens se transforme. Boy George s’est donné si généreusement, c’était comme la visite d’un ange ou une apparition de la Vierge Marie… J’ai dû pleurer pendant deux jours lorsqu’il est parti!"
Dans l’intrigant livret du disque, Antony apparaît devant une tapisserie fleurie. Sourcil fin, visage poudré, l’œil droit maquillé en bleu et le gauche en orange mais les cheveux clairs, duveteux et très courts, contrairement à la tignasse sombre et lourde qu’on lui connaît aussi. Caméléon, intéressé par le spectacle transformiste, oui, mais certainement pas victime glamourisée de la mode, car à travers toutes ces parures et ces couleurs changeantes, ce qu’Antony nous fait voir est d’une sincérité désarmante: "Mes paroles se rapprochent de ma vie; je ne pourrais pas faire une musique qui ne serait pas connectée directement à mon rapport au monde. Si je ne chantais pas, je danserais."
Malgré ses morceaux déployés comme un rêve baroque et la volupté du piano qui enveloppe les textes, la critique aura vite repéré des affinités entre la sensibilité d’Antony et celle d’une scène folk récente et enthousiasmante qui réunit les Devendra Banhart, CocoRosie ("Bianca et Sierra Casady sont pour moi des modèles de beauté"), Animal Collective et autres Joanna Newsom, groupe dont il est l’aîné et l’élément le plus déconcertant. "Oh! Je chéris ces kids, dira-t-il, maternel. Cette association m’enchante. Ces artistes font une musique sincère, proche du cœur, avec un petit côté artisanal, "fait main", et c’est peut-être pour ces raisons que l’on m’a rapproché d’eux."
On vous l’annonçait en janvier comme l’une des étoiles scintillantes de la rentrée hivernale, comme un artiste à surveiller de près en se croisant les doigts puisque l’annonce d’un spectacle espéré venait alors sous la forme d’une rumeur. "Je suis très excité à l’idée de venir à Montréal. J’y suis passé il y a quelques années, quand j’accompagnais Lou Reed en tournée."
Antony and the Johnsons
I Am a Bird Now
Secretly Canadian
Le 15 février
Au Green Room
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