M : Je t'M moi non plus
Musique

M : Je t’M moi non plus

M aime Montréal et Montréal aime M, d’où un retour précipité mais tout à fait bienvenu. La romance se poursuit dans le cadre du Festival Montréal en lumière. Rencontre avec le plus funky des chanteurs français.

En biffant presque entièrement la référence familiale avec son pseudonyme, Matthieu Chédid s’est approprié la treizième lettre de l’alphabet dans un but relativement plus noble que celui de la restauration rapide. Naquit alors M, tout simplement, dont la mission musicale consiste depuis Le Baptême (1997) à bâtir un charmant terrain de jeu où le rock, le funk et les machines sont admis, la seule règle étant de créer un univers personnel autour de cette voix aiguë, insolite, remplie d’innocence.

Sous des dehors enfantins, derrière sa coupe de cheveux façon manga, M est pourtant une des trois ou quatre meilleures choses qui soient arrivées à la chanson française des dernières années. À 33 ou 34 ans, il a déjà aligné trois disques et presque autant d’enregistrements publics, collaboré de façon marquante aux deux derniers disques de Brigitte Fontaine et ajouté son grain de voix à la bande originale du film Les Triplettes de Belleville signée Ben Charest. Et le meilleur semble à venir, puisque l’album de 2003 Qui de nous deux confirmait le talent, la polyvalence et l’imagination de l’artiste.

Joint au téléphone juste après un virulent épisode viral, la créature en question s’avère obnubilée par la longue tournée qui s’achèvera bientôt: "J’étais entouré de malades et je suis tombé malade. C’est normal, c’est la moindre des choses! Mais comme j’ai du mal à rester au lit, je prends de la cortisone, enfin, un mélange assez doux. Il faudrait vraiment que je sois dans un sale état ou que je fasse une performance catastrophique pour annuler un concert."

Chose certaine, il n’y avait rien de catastrophique dans la série présentée chez nous en août dernier, dont rend justement compte le disque M au Spectrum. Moment de grâce, cette période montréalaise semble avoir tissé des liens définitifs: "Il y a eu une rencontre, comme si on se connaissait bien, sans trop de quiproquos, statue M à ce sujet. C’était une fin de série, qui est devenue une apothéose. J’ai déjà plein de bons souvenirs du Québec. Peut-être que j’idéalise!" N’empêche qu’un champ d’ondes sympathiques s’est instauré entre lui et nous, comme le prouve cette anecdote tirée d’un spectacle offert à Strasbourg il y a une semaine: invitant comme à son habitude quelques spectateurs à intervenir dans la chanson Gimmick, il tombe sur deux Québécois, lesquels, armés de leurs cuillères, servent une chanson à répondre qui endiable la salle. Il n’y a pas de hasard.

L’INSOUCIANCE MÊME

Sans jouer la carte d’un éclatement forcené, M a tout de même un don pour l’expérimentation et l’inattendu. Du minimalisme introspectif au jam session le plus torride, il a su s’inventer un environnement incomparable, où les nationalités et les styles échangent librement. Quant aux plus curieux, ils auront pris connaissance d’un récent disque instrumental intitulé Labo M, où notre homme rend compte de ses aventures sonores et des étranges chemins qui le mènent vers une chanson. "Je n’ai pas de technique particulière. Les pièces peuvent naître dans n’importe quel contexte, mais c’est surtout capté à des moments d’insouciance, où, parfois, on y croit. Concernant le Labo M, je le vois comme une série qui devrait connaître d’autres épisodes, on verra."

Quand on considère que Les Triplettes de Belleville ont bel et bien existé dans les années 20, maniant des appareils ménagers pour en faire des instruments de musique, on ne se surprend plus que M ait croisé leur chemin dans son monde virtuel. "C’est très marrant, mais je ne savais pas que ça pouvait se voir de loin! D’ailleurs mon rêve, au départ, quand j’ai créé M, c’était de bâtir une comédie musicale avec toute une histoire où ce personnage arriverait dans le quotidien des gens, improviserait avec eux en transformant le quotidien en musique. Ç’aurait été en plein dans l’esprit des Triplettes." Toujours dans le rayon des excentricités urbaines, les affinités avec Brigitte Fontaine (la reine de Kekeland en personne) ne semblent pas près de s’éteindre: "J’aimerais beaucoup l’inviter sur un des disques, et mon fantasme est qu’elle m’écrive un texte. Je viens d’ailleurs tout juste de terminer un remixage de Betty Boop en août, qu’elle m’avait commandé. On est de vrais amis artistiques, malheureusement on n’a pas beaucoup eu le temps de sortir ensemble."

Malgré la cohérence de son œuvre, on se demande parfois si Matthieu Chédid n’est pas tenté d’emprunter d’autres peaux que celle de M, et s’il n’y a pas une mue en préparation. "J’aimerais parfois tenter autre chose, oui, mais je ne m’imagine pas un autre personnage aussi fort. (Des fois, je suis encore plus fier de cette trouvaille-là que de certaines chansons!) Mais franchement, je n’ai aucune idée de mes prochaines créations, je suis trop centré sur le présent, sur la fin de mon aventure avec Qui de nous deux."

Beaucoup moins narcissique que ne le suggère son métier de chanteur pop, M ne prend son pied qu’en recherchant de nouveaux diapasons entre lui et son public, d’où l’immense potentiel de communion joyeuse qui caractérise ses apparitions. C’est ainsi qu’en discutant de ses idoles artistiques, il en vient un peu à se décrire indirectement: "Les gens géniaux finalement, ce sont ceux qui parviennent à inspirer les autres."

Les 25, 26 et 27 février
Au Métropolis

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