Nelligan : Orchestre pour poète seul
L’opéra Nelligan, signé Michel Tremblay et André Gagnon, refait surface, 15 ans après sa création, dans une version symphonique qui réunit entre autres Daniel Bélanger, Daniel Lavoie, Pierre Flynn et Richard Séguin.
"J’ai vu à un moment donné, raconte André Gagnon, que l’Orchestre symphonique de Montréal faisait une version concert des Misérables, alors j’ai sauté sur le téléphone et j’ai appelé la direction de l’OSM; deux heures plus tard, j’étais assis devant eux et je leur disais que c’était bien de faire Les Misérables mais que Nelligan pouvait très bien être traité par l’OSM, surtout que c’est non seulement québécois mais montréalais, et que ça se prête à merveille à un tel traitement car il s’agit d’une œuvre lyrique." Écourté de 50 minutes, l’opéra, à l’origine d’une durée de 2 h 20, sera servi dans une version concert. Pour arriver à ce résultat, Gagnon et Tremblay ont fait quelques sacrifices en retranchant trois personnages secondaires, entre autres Eva et Gertrude, les deux sœurs du poète. Côté musical, très peu de remaniements: "Les arrangements sont les mêmes, l’orchestrateur n’a fait que traduire à l’orchestre. Il n’a touché à rien, et il n’a pas changé les harmonies ni les contre-chants."
La direction de l’orchestre a été confiée à Jacques Lacombe, et outre les Dominique Côté (dans le rôle de Nelligan, engagé à la suite d’une audition), Maxim Denommée, Kathleen Fortin et Sylvie Tremblay, certains rôles sont tenus par des auteurs-compositeurs très populaires: Daniel Lavoie, Pierre Flynn, Richard Séguin et Daniel Bélanger complètent la distribution le temps d’une chanson. Ces grosses pointures, qui ne font habituellement que leur matériel, ont-elles été difficiles à convaincre? Pas du tout, nous assure le pianiste: "Je les ai tous engagés par téléphone et c’est seulement après coup que j’ai réalisé qu’il y avait quatre gars dans la bande qui étaient auteurs-compositeurs et qui n’avaient pas l’habitude de chanter les paroles d’un autre, le seul qui avait véritablement une expertise dans ce domaine étant Daniel Lavoie. Quand j’écoute un nouvel album d’un auteur-compositeur, ce sont les chansons que j’écoute, pas la voix. Là, pour Richard Séguin en particulier, c’est bien de pouvoir le découvrir comme chanteur."
"C’est intéressant de sortir de son emploi habituel et de se mettre au service d’une autre personnalité, d’autres créateurs: c’est pour ça que je suis ici, nous dit Pierre Flynn. Le projet m’a charmé, poursuit-il, parce que c’est une musique intéressante, une musique romantique qui appartient, je dirais, à la fin du 19e siècle, tout comme la poésie de Nelligan, et je trouvais agréable qu’on soit presque tous des auteurs-compositeurs qui sortent de leur personnage pour devenir des interprètes." Le chanteur n’est pas tellement habitué de quitter son piano quand il chante. Le musicien, le compositeur n’est jamais loin derrière: "Il y a quelque chose dans la musique d’André, dans cette œuvre-là, qui n’est pas étranger à ce que je fais, à ce que j’aime. Il y a un certain romantisme que j’essaie souvent d’étouffer. Je trouve aussi que ce sont de belles mélodies."
Et Émile Nelligan? Ce poète cantonné dans l’image de la jeunesse qui a connu une vie assez misérable, une vie qu’il a terminée en institution psychiatrique, lui qui a, en quelque sorte, fait entrer la poésie québécoise dans la modernité en nous éloignant de Lamartine et en nous rapprochant de Rimbaud, de Verlaine, a-t-il eu un impact particulier chez ces interprètes? "Quand j’étais petit, rapporte Flynn, on enseignait Nelligan dans les écoles primaires (je ne suis pas sûr que ce soit le cas aujourd’hui!), et je me souviens que j’étais assez fasciné par cette personnalité. Quand on est adolescent, on a de la misère; on veut être un rebelle, on veut se poser en contre-pied de l’establishment. C’est ce qu’il incarnait pour moi, et en plus, en lisant sur lui, je me suis rendu compte que sa grand-mère s’appelait Catherine Flynn!" Pour Kathleen Fortin, la découverte du poète remonte à l’époque du cégep: "Je venais d’une famille où on ne lisait pas de poésie et ç’a été une bonne incursion avant de lire des auteurs contemporains." Effet du hasard, la chanteuse-comédienne était plus que familière avec l’opéra: "Je rêve d’incarner ce personnage-là depuis bon nombre d’années. La Dame en noir est ma chanson porte-bonheur; je la fais à chaque audition depuis l’École nationale!"
Au moment d’écrire ces lignes, personne n’avait encore entendu la version orchestrale, mais à la vue des partitions et avec l’esprit qui règne parmi les interprètes, André Gagnon est plus que confiant. On leur souhaite le même succès qu’à la création.
Les 18 et 19 février
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
Voir calendrier Chanson