Rachid Taha : Rote and Roll
Rachid Taha, l’enfant terrible du rock arabisant, poursuit une tournée qui le mène jusqu’à nous porter la bonne parole et ses idées sur l’amour du prochain. Rencontre avec Jésus-Christ superstar.
"T’es qui, dis-moi, si t’es pas toi? Si t’es pas moi, dis-moi t’es qui? T’es qui toi? T’es qui moi?" scandent Rachid Taha et Christian Olivier, tête forte des Têtes Raides, en mordant dans les mots de Tékitoi, la chanson qui ouvre Tékitoi, plus récent disque du chanteur algérien.
Dès lors, le ton est donné et la question du rapport à l’Autre, posée; celle de l’Autre en soi, de l’Autre qui devient je: "C’est mon grand souci. Il n’y a pas de remède à l’intolérance et au racisme. S’il y en avait un, je ne ferais plus de musique, je donnerais des ordonnances. Mais je préfère encore qu’il n’y ait pas de remède et qu’on guérisse naturellement. (…) Pour moi, faire de la musique, c’est une façon de contester, de ne pas mourir idiot. Je suis un pessimiste joyeux", raconte l’ancien chanteur de feu Carte de séjour, un groupe de beurs jadis sensible à la cause maghrébine en France qui fut dissolu au profit des projets solos de Taha, tel ce disque vigoureux de rock hirsute.
Tékitoi fut cuisiné avec Steve Hillage dans le rôle de l’alter ego responsable des sonorités moyen-orientales, flûtes marocaines et cordes égyptiennes, aussi étonnant que cela puisse paraître: "C’est bien de pouvoir faire faire les choses qui pour moi semblent évidentes par quelqu’un d’autre." Sur ce disque, Taha revisite en arabe Rock the Casbah des Clash, pour accoucher d’une version aussi irrésistible et punchée que l’originale, "une manière de rendre hommage à Joe Strummer et, en même temps, un clin d’œil à l’Orient et à l’Occident", précise-t-il. "Cette chanson porte quelque chose de très fort, qui m’avait beaucoup marqué", mâchonne Taha, apparemment surpris en pleine dégustation d’on ne sait trop quoi d’épicé. Nul autre que Brian Eno, rencontré lors d’un concert de Robert Wyatt, est aussi invité à la table, puisqu’en plus de signer la musique de Dima!, il fait partie des chœurs sur Rock el Casbah. "Je rêvais de collaborer avec lui depuis longtemps, depuis les années 80 en fait. Nous avons travaillé en studio chez lui. On imagine toujours les producteurs équipés avec du super matos, mais c’est pas ça, c’est un petit studio tout simple", éructe Rachid entre deux bouchées.
Christique est sa pose sur la pochette de l’album; le regard est porté au loin, débordant d’amour pour son prochain, et la chevelure, sculptée comme une couronne d’épines. "C’est pour moi une image puissante, une manière de dire "Regardez, on se ressemble tous en quelque part"", ajoute Taha dans une des rares phrases de plus de 10 mots prononcées lors de cette conversation. Apparemment, les journalistes ont été chassés du paradis, du moins si l’on en croit le peu de considération que leur porte le rockeur, qui avait ce jour-là visiblement hâte d’en finir avec son prochain à l’autre bout du fil.
Déçu du sort du rock, qu’il considère écartelé entre Star Ac’ et un virage pseudo-intellectuel, Rachid Taha, interrogé sur la manière dont il entrevoit l’avenir de ce genre musical, répond étrangement: "Certains rockeurs, lorsqu’ils obtiennent du succès, changent complètement. Ils arrivent quelque part et souhaitent qu’on repeinture les murs d’une autre couleur, exigent des légions d’honneur; je trouve ça lamentable. Pour moi, le rock demeure une musique de rebelles." Burps!
Le 2 mars
Au Grand Théâtre
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