50 Cent : Une main de fer dans un gant de cuir
Rencontré à San Francisco à quelques semaines du lancement de son album, 50 Cent admet qu’il sera déçu si les ventes de The Massacre s’avèrent égales ou moindres que celles du précédent. Pas besoin de s’inquiéter pour lui. La semaine dernière, à la veille du lancement de The Massacre, le protégé d’Eminem devenait le premier artiste à classer trois chansons à la fois dans le top 5 du palmarès des singles Billboard depuis 1991. Hasard? Pas sûr… Plutôt le résultat d’un savant coup de marketing… de rue.
Le nouvel album devait être lancé le jour de la St-Valentin, la sortie a ensuite été reportée à la mi-mars, puis devancée. Qu’est-ce qui s’est passé? Tu l’as livré à la rue avant que ta compagnie de disques puisse te rattraper?
"Oui, j’ai sorti la pièce Disco Inferno, je l’ai envoyée moi-même aux radios, aux DJ des compilations underground, et Universal a dû me rattraper. Ils ont commencé à faire de l’anxiété à ma place, à dire que je ne suivais pas le plan marketing! Je viens d’un milieu hyper-productif, où lorsqu’on enregistre quelque chose de hot, on le sort immédiatement, question de promo. La raison pour laquelle la sortie de l’album a été repoussée, c’est que je ne voulais pas faire d’ombre à mon nouveau protégé, The Game, qui lançait son album en janvier."
(NDLR: La semaine dernière, The Game annonçait la fin de son association avec le clan G-Unit, deux mois seulement après la parution de son album.)
Dirais-tu que tu es d?fabord un businessman, puis un artiste?
"Absolument, et je l’avoue sans gêne. Les premiers mots prononcés sur Get Rich or Die Tryin sont "G-Unit! We Here!". Ils dépeignent l’intention de fonder mon propre groupe d’artistes, mon propre label, dès le départ. Je suis sans doute plus doué côté business, vu mon passé criminel."
Chaque fois qu’on se rencontre, tu es tout sourire! Tu n’as rien de l’image du gangster menaçant que montrent les photos des magazines ou de ta pochette d’album.
"Ce gars-là (pointant du doigt une photo en frontispice du magazine XXL, où le rappeur, vêtu d’un complet-cravate, brandit un AK-47), je le sors seulement quand ça va mal! J’ai dû développer deux personnalités en grandissant: d’une part, un côté très agressif, nécessaire pour me défendre, survivre dans mon quartier, d’autre part, à la maison, je devais être le petit-fils, le bébé de ma grand-mère qui m’a élevé. Je me promène donc entre ces deux extrêmes. Mais je suis conscient que le sourire désamorce beaucoup de gens! Ça met les gens à l’aise, ça facilite la communication. Si j’arrivais avec ma face de gangster tous les jours, je ferais peur à tout le monde, et je crois que je me mettrais beaucoup de gens à dos."
Tu parles de ta grand-mère. Quelle est sa réaction à ta musique? Lorsqu’elle voit une de tes vidéos, voit-elle 50 Cent ou son petit-fils Curtis Jackson?
"Elle voit Curtis, c’est clair! Mais elle réalise que j’ai pris tout ce qu’il y avait de négatif dans ma vie pour en faire du positif. Je suis qui je suis. Je n’ai jamais eu à remplir une demande d’emploi, je n’ai jamais connu autre chose que la rue ou le rap. Je dois donc me servir de ce que je connais pour créer. Les fans sentent que c’est vécu. Mais au bout du compte, ma famille, mes fans et moi sommes conscients que c’est grâce à mon talent de rappeur – et non parce que j’ai pris neuf balles à la poitrine et au visage – que j’ai du succès. Je n’essaie pas de glorifier un environnement violent, je tente de dépeindre une situation. Le résultat fut positif sur le premier album, espérons que ce sera le cas cette fois-ci également."
Tu travailles présentement sur ton premier film, Hustler’s Ambition, à caractère semi-autobiographique. Est-ce que le film de ta vie a la même fin que celle que t’imaginais plus jeune?
"Non, pas du tout! C’est un tout nouveau scénario depuis quelques années! En fait, je travaille avec Terry Winters, un des scénaristes des Sopranos, qui fait un travail extraordinaire. Mais ça demeure romancé, c’est un travail artistique, pas une biographie. Il est impossible de résumer une vie, surtout la mienne, en 90 minutes. Il faut que tes souvenirs deviennent des événements dramatiques, que tes amis, tes parents deviennent des personnages. Mais c’est un exercice intéressant, le tournage débute en avril."
Est-ce qu’Eminem, en bon mentor, t’a donné des conseils, suivant son succès avec 8 Mile?
"Il m’a dit: "Assure-toi de faire un film qui raconte l’histoire d’un homme plus que celle d’un rappeur, et n’en fais pas une comédie musicale hip-hop! Les scènes de toi en studio, on s’en fout!""
En écoutant le duo avec Eminem qui apparaît sur ton album, Gatman and Robbin, on sent bien que votre relation dépasse les bornes musicales ou professionnelles.
"Eminem est responsable de mon succès. Point final. C’est lui qui m’a entendu, pour ensuite amener mon démo à Dr Dre. Lors de notre première rencontre, il était tellement excité que ça m’a rendu mal à l’aise! J’étais très nerveux à l’idée de le rencontrer, et il m’a tout de suite fait sentir que le privilégié, c’était lui. Il était prêt à tout pour me convaincre de signer avec son étiquette, Shady Records. C’était radicalement différent de toutes les autres rencontres très "corpo" que j’avais eues auparavant avec des dirigeants de l’industrie. Et depuis, on se parle aux deux, trois jours."
Compte tenu de ses nombreux démêlés avec la justice, lui arrive-t-il de te faire la morale, de te suggérer de ne pas faire certains trucs, pour que tu ne répètes pas les mêmes erreurs que lui?
"Souvent. Eminem est idéaliste. Il voudrait qu’il y ait moins de tensions, moins de guerres entre les clans hip-hop. J’ai la mèche courte, et lorsque quelqu’un s’attaque à moi en musique, je veux y répondre, indépendamment des conséquences que ces batailles, ces rivalités peuvent engendrer. Eminem voudrait que ça se passe autrement. Il voudrait qu’on s’entende tous, qu’il n’y ait pas de beefs, qu’on concentre nos efforts à composer des hits. Sur mon premier album, mes querelles ont presque pris le dessus sur ma musique, et j’ai passé plus de temps à parler de ma rivalité avec Ja Rule qu’à composer des succès. Et Eminem me répète sans cesse que ce sont des chansons comme In Da Club qui font vendre des albums, pas des pièces hard core qui parlent de rivalités."
Pourquoi, donc, perpétuer cette guerre de clans et cette violence en y faisant référence à plusieurs reprises sur The Massacre?
"Parce que même lorsqu’on essaie de laisser tomber, comme lorsque Eminem a sorti Toy Soldiers, on continue de nous attaquer. Eminem a la sagesse de ne pas vouloir riposter, moi non. Si tu fesses sur moi, je fesse sur toi."
50 Cent
The Massacre
(Universal)