Coralie Clément : Trop belle pour toi
Musique

Coralie Clément : Trop belle pour toi

Pop star impromptue. Splendide lauréate d’un concours de circonstances. Moitié féminine de l’avenir de la chanson française. Timide. Résolue. Coralie.

C’est la boîte à souvenirs en tôle retrouvée par Amélie Poulain; la façade hétéroclite de la chanson française ravalée selon des ethnologies fidèles: les vieux cuirs d’une Citroën, Jacques Tati, le képi du général, l’Algérie, les bécanes noires à trois vitesses du Tour de France 58…

C’est un grand frère: Benjamin, 33 ans, look fauve Alain Delon, imper mastic. Marlboro vissée au bec. Parolier surdoué qui, noircissant de rimes ses nuits insomniaques, a bricolé en 20 lignes, avec une prédilection pour le feutré des fifties, les superbes come-back de Gréco, Hardy, Salvador et compagnie.

Vous êtes, vous, mademoiselle, victime consentante. La sœur, 26 ans, du nouveau messie de la prose sur disque. Belle à achever le pape. Et, fragile paradoxe, lucide et ingénue. "Le nom, c’était un peu pour me protéger; et comme j’ignorais si je voulais faire ce métier, pour maintenir une distance entre moi et la fille qui chante. Et puis c’était plus joli…" Si vous le dites…

CORALIE, COMME MA FILLE

Coralie Clément, reflet de Coralie Biolay; initiales C.C.: une consonne à peine plus haut dans l’orthographe. Vous seriez en 2005 l’impromptue du Diable au corps de Vadim. Ou plutôt la fille filiforme de L’Amour en fuite, un mythe construit sur des affections fatalistes. "Vous dites fatalistes? Je dirais nostalgiques mais il est vrai que c’est un thème récurrent. C’est si difficile."

Vous avez écrit ceci qui vous va si bien: "Je voudrais avoir pour toi les mots qui tremblent / Oublier de me perdre en chemin / Tout ça ne tient qu’à un fil / Un souffle, un battement de cils si l’un de nous se défile" (Beau fixe).

Dévoyée de plates études en fac d’histoire et de la banlieue de Villefranche-sur-Saône, montée à Paris par la force des amis, intronisée chanteuse, égérie, belle-sœur commise d’office de Chiara Mastroianni et nièce de la grande Catherine, il y a trois ans vous accouchiez de La Salle des pas perdus, disque où votre frère entretient ses flash-back pour votre pomme. Et cela vous plaît:

"J’ai l’impression que tout était plus léger et plus simple… Il y avait un certain optimisme… un romantisme qu’à l’heure actuelle on n’a plus du tout. On est balancé dans la dure réalité. Je regarde les films de Truffaut et je me dis: ah là là! qu’est-ce que ça devait être bien tout de même!… Et mes parents confirment."

La famille. Cette pieuvre qu’on n’a pas choisie et qui en étouffe vous rassurera jusqu’à la prise de son: "Benjamin écrit la nuit et apporte les chansons le matin au studio. C’est d’une grande spontanéité… Je ne posais pas de questions, j’étais avec mon frère. Je découvrais le travail de studio et je trouvais ça magnifique de voir ce que des musiciens pouvaient faire d’une petite chose inventée sur une guitare. Lui, il était super inquiet! Il avait peur que ça me terrorise, tous ces bidules. Moi j’avais l’impression que c’était bien… Heureusement pour moi, j’ai ma famille et, autour, des gens très très proches parce que je suis terriblement réservée." Et indécise.

INDÉCISE

"Peut-être oui peut-être non / Ça m’est égal de toute façon / À gauche, à droite ça je ne sais pas / De haut en bas oui pourquoi pas / Un jour ou l’autre on verra bien / Toujours remettre au lendemain / Ce que je peux faire ce matin / Je ne sais pas me prendre en main" (Indécise)

"Oui, l’indécise, c’est moi, chuchotez-vous. Je suis très sensible et très fragile. J’ai une telle terreur des conflits ou des discussions… J’ose pas dire… une telle horreur de risquer de blesser. Alors, c’est pas que j’ai pas d’opinion, mais je passe un petit peu mon tour… Je me cache entre les lignes."

Loin de cet univers sous influence, terrorisée à l’idée d’écrire sous cette grande ombre, vous avez cherché New York. L’attention bienveillante des Angliches de Nada Surf. Et là, branché sur l’underground, l’exil a débouché sur Bye bye beauté, disque au spectre sonore élargi. "J’aurais pu m’arrêter et j’y songeais. Peut-être l’expérience était-elle suffisante? Mais ils venaient à moi. Ils aimaient le truc un peu jazzy. J’ai rencontré pas mal de musiciens, beaucoup travaillé en répétitions. J’ai quitté la fac… Voilà… c’est vous dire, ça fait trois mois et déjà New York me manque."

PERSISTANCE

Peut-être Biolay, qui signe encore le bon tiers de ce deuxième CD, a-t-il entendu le bruissement poisseux des ruelles de Manhattan. Amours sous influence, redondance de l’aiguille et du mot "fixe". Ce qu’il confie de paroles à sa frangine est désormais autrement plus tordu. Jeu du foulard, chef-d’œuvre pop apparent: "Je conduis mais toi tu roules / J’ai peur de percuter la foule / Prenons en stop cet inconnu / Puis rendons-le sans vie à moitié nu / Juste pour rire / Dans le flou du fond d’un fixe / Une île déserte / Choisir un disque / Un abribus, une idée folle / Le genre de faits divers dont ils raffolent / Juste pour voir…" (Jeu du foulard)

"Ils prennent un foulard et se serrent le cou très fort pour savoir jusqu’où ils peuvent aller. Ce genre d’histoire, c’est une des passions de Benjamin. Il dévore les biographies de serial killers. Ce genre de personnalités extrêmes… mélanger la dure réalité de la vie avec une musique un peu joyeuse!…"

Entre quelques ironies sur ces Victoires de la musique éparpillées entre deux générations d’auteurs paumés et quelques insupportables brailleuses importées du Québec, vous dites: "Ça ne respire pas le talent. C’est vrai que ça devient un peu lourd. Les textes sont quand même assez incroyables…" avant d’avouer ce malaise qui donne envie de taire tout ce qui pourrait expliquer ce si beau disque:

"Pardon. Je suis un peu mieux… j’étais tellement timide… Dans un souper, je pouvais passer trois heures en bout de table sans dire un mot, au point que c’en était pénible pour les autres. Et puis faire de la promo, ça m’a dégênée. Maintenant je ne suis plus que réservée, et très très discrète."

Alors merci, d’autant plus.

Coralie Clément
Bye bye beauté
EMI