Moby : Maître d’hôtel
Dix millions d’exemplaires de Play écoulés plus tard, 13 ans (déjà!) après son premier effort, Moby nous revient avec Hotel, projet double écartelé entre un son ambiant à la Brian Eno et de nombreux clins d’œil aux héros de l’ère new wave. La balle est dans son camp.
Vous venez de lancer
Hotel, un disque double qui surprend du fait que les échantillonnages auxquels vous nous aviez habitués semblent avoir été remplacés par des voix, par la vôtre surtout, que l’on entend sur la majorité des plages du premier des deux disques. Vous aviez envie de changer d’air?
"Pour faire ce disque, j’ai dû choisir une vingtaine de chansons parmi 300, dont quelques-unes composées à partir d’échantillonnages, d’autres instrumentales, etc., et la raison pour laquelle j’ai arrêté mon choix sur ces 15 chansons-là, c’est tout simplement parce qu’elles étaient mes préférées. Je vais fort probablement revenir aux échantillons de voix, mais pour l’instant, je dois dire que même si je n’ai pas la voix la plus techniquement parfaite, j’ai envie de chanter et j’ai du plaisir à le faire."
Votre nouvel album, Hotel, mise sur un titre et des photos à la fois évocateurs et énigmatiques. Pour vous, à quoi renvoie cet imaginaire déployé autour du concept d’un hôtel?
"Je passe beaucoup de temps dans des hôtels, comme musicien, forcément, et je trouve que ce sont des endroits étranges, à la fois publics et privés. On dépense tellement d’énergie à essayer de protéger notre vie privée, mais une fois seul dans une chambre d’hôtel, après avoir verrouillé la porte, on fait à peu près tous la même chose, même si on fait des pieds et des mains pour que ça reste secret: regarder la télé, prendre un bain, faire l’amour, traîner de longues minutes dans la salle de bain, appeler quelqu’un… Notre vie privée est surprotégée mais somme toute assez banale."
Le second disque de ce projet double est instrumental et ambiant, quasi ésotérique… Qu’est-ce qui vous a amené vers ces territoires-là?
"La vérité, c’est que souvent, à la maison, j’écoute du classique (Debussy, Bach, Gorecki, Rodrigo), ou des musiques électroniques atmosphériques (Brian Eno, l’homme qui inventa la musique électronique ambiante). Et je trouve que ces musiques ont des qualités incroyables, comme cette faculté de ralentir les battements cardiaques, de calmer, et c’était mon but premier lorsque j’ai décidé d’inclure ce disque."
Et sur l’autre, vous proposez une reprise étonnante, tempérée et adoucie de Temptation (New Order). Que signifie cette chanson pour vous ?
"J’ai grandi en écoutant Joy Division, New Order, Echo & the Bunnymen, The Cure, et j’avais envie de reprendre Temptation en mettant l’accent sur ses qualités lyriques. La version originale est bien plus dance, moi je voulais faire une reprise qui attirerait l’attention sur le texte."
On retient aussi la mélancolique Slipping Away, en plein dans l’esprit doux-amer que l’on connaît de vous. Dans quel état d’esprit l’avez-vous composée?
"Moi aussi je l’aime bien, en fait c’est ma chanson préférée sur l’album. Vous savez, j’ai 39 ans, les années ont passé et je m’aperçois que, faute de temps, j’ai de moins en moins de contacts avec des gens qui comptent beaucoup pour moi. Parfois je me rends compte que ça fait 10 ans que je n’ai pas passé un moment avec certains de mes amis les plus proches… J’ai peur de me réveiller à 70 ans et de devoir faire ce constat que ça fait des lunes que je n’ai pas vu ces gens-là, que dans la tourmente j’ai fini par perdre de vue mes amis les plus chers…"
Plusieurs vous ont découvert avec Play, un album pour lequel vous avez récolté beaucoup de succès, qu’on entend encore jouer dans les cafés six ans plus tard, un disque pour lequel on vous a encensé, voire starisé. Comment avez-vous réagi à cette visibilité?
"J’ai été le premier surpris, parce que je fais des disques depuis 15 ans. À l’époque où j’ai lancé Play, honnêtement, les gens s’intéressaient plus ou moins à ma musique, on ne se bousculait pas au portillon, même que je m’attendais à ce que ce disque soit un échec. Je me disais: "Bon, je vais probablement en vendre 50 000 et ensuite ça s’arrête là.""
Et pourquoi avez-vous cru que ce serait un échec?
"À cette époque, les palmarès étaient dominés par les Backstreet Boys et autres Limp Bizkit… Il ne semblait pas vraiment y avoir d’espace pour un disque étrange et éclectique fabriqué en solo par un gars chauve dans son coin."
Comment composez-vous avec la pression?
"De toute ma carrière, je ne me suis jamais attendu à avoir autant de succès. Alors tout ça m’est apparu comme une grande surprise. Je fais les disques que j’aime, tout simplement, et je me dis que j’espère que les autres les aimeront et ce n’est pas la fin du monde si ça tourne autrement…"
Plusieurs des titres de Play ont été repris dans des spots publicitaires. Bien des artistes sont inconfortables avec l’idée de mêler art et pub. Nous aimerions avoir votre point de vue sur le sujet.
"La vérité, c’est que du moment où vous signez avec une compagnie de disques, vous vous engagez dans le mariage de l’art et du commerce. Dans la mesure où j’ai fait un album dont je suis fier, j’ai envie que les gens puissent l’entendre. Et si j’ai vendu les droits de mes pièces pour qu’elles se retrouvent dans des films, des commerciaux, des shows de télé, c’est tout simplement dans ce but de les faire circuler, de leur permettre, le plus possible, de se frayer un chemin jusqu’aux oreilles des gens. Et je trouve ça intéressant de voir qu’il y en a qui me critiquent parce que je vends ma musique, alors qu’eux-mêmes le font, sur une autre portion du globe. Je ne nommerai personne, mais il y a un groupe en particulier, du Royaume-Uni, qui me pointe du doigt, et moi je sais qu’ils vendent leurs droits dans l’Est profond… Ils ne feraient jamais ça dans leur propre pays mais quand vient le temps de vendre ça ailleurs que sur leur marché, c’est une autre paire de manches apparemment… Il y a pas mal d’hypocrisie derrière tout ça, je trouve."
Êtes-vous dans un hôtel en ce moment?
"Oui, je suis dans un hôtel à Atlanta."
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