Kent Nagano : Le début d'un temps nouveau
Musique

Kent Nagano : Le début d’un temps nouveau

Kent Nagano commence à prendre racine chez nous en dirigeant quatre concerts et en lançant un concours. Rencontre avec un chic type.

J’ai eu le plaisir de rencontrer Kent Nagano dans les bureaux de l’OSM, le lendemain de son tout premier concert à la tête de l’orchestre à titre de directeur musical désigné. Un concert qui affichait complet et au terme duquel le public a enfin pu démontrer au chef la joie qu’il ressent à le voir prendre les commandes de ce magnifique instrument. "Le public montréalais est vraiment fantastique, commente Kent Nagano. On sent vraiment une proximité entre l’orchestre et son public, une appartenance réciproque; c’est toujours ce que l’on souhaite, dans l’idéal, mais ce n’est pas toujours le cas!" N’empêche, quelques notes discordantes ont tout de même brouillé l’unanimité de ce triomphe dans les journaux du lendemain. Le chef est-il satisfait de sa performance? "Tout à fait, répond-il sur ce ton calme et réfléchi qui le caractérise. J’en discutais justement avec des collègues de l’orchestre il y a quelques minutes et je crois que tout le monde dans la salle a pu ressentir la très profonde implication des membres de l’orchestre: c’était extraordinaire. Quand on prend des risques, comme nous devons le faire en tant qu’artistes, ça implique que l’on y mette tout son cœur, que l’on ait de l’audace; sinon, on ne peut transmettre quelque chose de significatif, atteindre une telle profondeur, et la passion avec laquelle l’orchestre a joué hier m’a vraiment impressionné." On note avec plaisir que le chef parle des musiciens comme de ses "collègues", un détail qui en dit long sur sa façon de concevoir la hiérarchie.

Au moment d’écrire ces lignes, le deuxième "programme Nagano" est encore à venir, les 5 et 6 avril, avec Mozart et Olivier Messiaen, un compositeur dont l’OSM interprétera la toute dernière œuvre et dont le nom a été donné au premier prix du concours international de composition dont l’orchestre annonçait le lancement le 29 mars dernier, à l’initiative du chef. "Je ne dirige plus Messiaen aussi souvent qu’il y a 15 ou 20 ans, mais j’attache une importance particulière à Éclairs sur l’au-delà. Pour ces deux programmes à Montréal, je voulais offrir un certain contraste; les œuvres de Mahler et Messiaen sont séparées par près de 100 ans et leurs langages musicaux sont différents, mais au niveau du contenu, de leur message, elles sont identiques." En nous offrant une œuvre de Messiaen qui date de 1991, le maestro réconforte ceux qui voient en lui un défenseur de la musique contemporaine, un genre qui n’attire pas toujours les foules… "La musique contemporaine a toujours eu des difficultés, acquiesce Nagano. On peut penser à Schubert qui s’est tant battu pour que sa musique soit entendue, aux humiliations qu’a pu subir Anton Bruckner, ou encore aux dernières années de Mozart, alors qu’on ne lui trouvait plus de pertinence; c’est presque impossible à concevoir aujourd’hui… Il est presque rare, en fait, qu’un compositeur soit populaire chez ses contemporains et, au contraire, certains qui l’ont été sont aujourd’hui oubliés… Quand on me demande qui est mon compositeur contemporain préféré, je réponds souvent… Mozart! Il est toujours étonnant de voir l’effet que sa musique produit sur le public; les gens apportent quelque chose avec eux en sortant du concert. Tout va si vite aujourd’hui et l’on peut presque ressentir dans l’instant un drame humain qui se déroule à des kilomètres; pourtant, la musique de Mozart nous parle encore. C’est plus important pour moi que la date inscrite sur ses partitions et cela en fait pour moi un compositeur toujours contemporain."

Le Prix international de composition de l’OSM, avec son Prix international Olivier-Messiaen, son Prix Espoir et son Prix national Claude-Vivier, récompensant une œuvre canadienne, offrira très certainement une visibilité accrue au milieu musical québécois, déjà en pleine effervescence (premier rendez-vous le 11 janvier 2007 pour le concert-gala!). "Ce prix est créé ici et pas ailleurs, explique Kent Nagano, parce que Montréal est spéciale. Ça implique que les gens d’ici osent encore rêver, et ça, il faut le souligner. Investir dans l’art d’aujourd’hui, c’est croire à demain, et ceux d’entre nous qui ont la chance de connaître Montréal aujourd’hui croient que le meilleur est encore à venir."

Il ne reste plus à espérer que le grand vaisseau réglera bientôt ses problèmes internes de tuyauterie; ce chef-là pourrait nous conduire très loin. www.composition.osm.ca.