Yann Perreau : Fils de printemps
Musique

Yann Perreau : Fils de printemps

Yann Perreau nous revient avec Nucléaire, un deuxième album attendu sur lequel, encore une fois, sensibilité et intelligence vont de pair. Rencontre avec un artiste en constante réinvention.

Le printemps sied bien à Yann Perreau: il est né un 5 avril, il remportait le concours Cégeps Rock le 3 avril 1994, ce qui marquait le début de sa carrière professionnelle, et lundi dernier, il lançait Nucléaire, son très attendu deuxième opus, qui vient confirmer de brillante façon les promesses de Western romance.

À 29 ans, avec 11 ans de métier derrière le micro, Yann Perreau commande le respect. Sous des airs de rocker un peu punk et un visage d’ange déchu se terre un artiste intègre, acharné, qui déteste se répéter et qui a une incroyable soif de savoir. "J’ai besoin de me confronter à d’autres talents et cultures. Je suis tout ce que j’ai gobé: j’ai fait mille voyages, occupé mille emplois, j’ai lu énormément." Ainsi Yann Perreau se fait-il un devoir d’évoluer. N’est-ce pas là la seule chose qu’on puisse demander à un artiste? "Si je veux être là le plus longtemps possible, je dois me renouveler mais surtout, surtout, être le plus honnête possible. Je sais que ce mot n’est pas très glamour, mais je tiens à mon intégrité. La reconnaissance, les billets vendus à mes spectacles ne sont pas l’effet d’une balloune gonflée à l’hélium par une vaste campagne de promotion: je fais du vrai travail de terrain. Je n’ai pas envie de prendre mon art et de le rentrer de force dans la gorge du monde. Mon approche est fondée sur l’humain."

Rencontres d’étudiants aux quatre coins de la province, spectacles dans des salles de plus en plus bondées, participations à titre de porte-parole à des concours pour la relève, prestations dans des galas télévisés, réponses personnelles à tous ses courriels de fans, Yann Perreau a bien suivi le conseil de son mentor Richard Desjardins: pour faire ce métier longtemps, on doit mettre son cul sur la mappe et établir des contacts directs avec les gens. "Au début, c’est difficile, on fait du défrichage. Mais là, je commence à récolter les fruits de ce travail de fond, car il y a un bel effet boule de neige. On a joué à Québec récemment et les salles étaient pleines. Bref, je fais mon chemin petit à petit vers le cœur des gens. Je cherche aussi cette proximité dans ma façon de faire des disques. À l’écoute de Nucléaire, les gens me disent qu’ils me sentent proche d’eux. J’en suis content, parce que je tiens à me montrer le plus nu possible, à partager ma fragilité."

Fier et indépendant, Perreau a produit cet album lui-même. Il en a fait naître les premiers mots, il en a sculpté les derniers sons. Cette liberté lui est vitale: "Être propriétaire de mes bandes et payer pour le studio me permettent d’avoir toujours le dernier mot. Je peux changer le nom du disque juste avant de l’envoyer à l’impression si je veux (Nucléaire s’appelait Nymphée quelques heures à peine avant le pressage). On doit toujours laisser de l’espace aux erreurs fécondes, à l’instinct, aux virages à 180 degrés. Ce que n’autorisent pas toujours les plus grosses compagnies."

Nucléaire est à l’image de sa pochette: photos crues en noir et blanc du visage et de la nuque de Yann, sur lesquelles on a ajouté des chaînes d’atomes vert fluo; dans le lecteur, on retrouve ce même mariage subtil entre organique (cordes, guitares acoustiques, voix au premier plan) et électronique (beatbox, scratch, programmation, etc.), entre la tradition des textes de la chanson française et une musique plus cinématographique, planante. Les arrangements de cordes du maître Joseph Racaille contrastent d’ailleurs brillamment avec les guitares abrasives du "frère de son" de Perreau, David Brunet. À la réalisation, Éric Goulet des Chiens, un autre vieil ami, a su trouver le juste équilibre entre les textures musicales singulières de chacune des pièces et l’homogénéité des thèmes: "Pour les textes, je suis parti de mes expériences de voyage, de certaines rencontres, mais surtout d’une relation avec une femme. Ce qui donne à Nucléaire, malgré son côté très viril, des accents très féminins, très amoureux, disons. Lorsque j’ai écrit certaines pièces, j’étais hanté par une femme, mais sur le disque, cette émotion est maquillée par le travail artistique. Par exemple, pour désamorcer le côté noir de Trois Sacs, la dernière pièce, je l’ai jouée un peu crooner, j’ai ajouté de l’humour, alors qu’elle a été écrite en plein désespoir. C’est ça, écrire une chanson, faire de l’art. Qui se soucie maintenant de savoir que ma valise, dans la vraie vie, est ma maison dans la chanson? Ou que mon sac à dos est mon garage et que mon petit sac où je mets mes livres et mon passeport est devenu mon cabanon?"

Certes, tout part de l’intérieur, du noyau. Et un seul de ces noyaux peut entraîner la contamination de toute une population. Porté par un artiste en pleine possession de ses moyens, Nucléaire s’avère être une bombe fort efficace…

Yann Perreau
Nucléaire
(Full Spin)