Alexandre Belliard : Le poète-pirate
À l’aube de la trentaine, Alexandre Belliard propose Piège à con, un premier disque de folk urbain dans lequel ses propos lascifs se confondent à sa simplicité volontaire. Un poète à l’âme de pirate…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le jeune Montréalais d’origine bretonne Alexandre Belliard a appris son métier by the book. Après l’annulation de son contrat avec une première compagnie avec laquelle il négociait depuis deux ans, il s’est dirigé vers la SOPREF et a acheté un guide de "production 101" pour apprendre tous les aspects du métier. Il a amassé son pognon, fondé sa maison de disques et s’est tapé toute la paperasse qu’on imagine. "J’attendais une maison de disques qui n’est jamais venue, alors j’ai décidé de créer la mienne. J’ai fait la production déléguée par nécessité, parce qu’il n’y avait personne que je pouvais payer pour la faire, puis je voulais aussi comprendre comment ça marche pour ne pas me faire fourrer la prochaine fois. C’était l’horreur, j’ai trouvé ça pénible, je ne le referai pas, mais ça m’a permis de faire l’album que je voulais faire", explique-t-il, le geste las, attablé dans un café de Gatineau. Cette galère s’inscrit bien dans la pièce Guérilla, qui trace le résumé de son ardu périple dans l’industrie musicale.
C’est en parcourant les bars et en étant technicien de scène que le poète au bras tatoué et à l’oreille percée fait des rencontres opportunes avec d’ex-membres d’Okoumé, notamment Éric Gosselin, avec qui il "jammait" dans un sous-sol. Gosselin lui a présenté Hugo Perreault, qui a réalisé l’album. Éloi Painchaud s’est aussi joint à l’équipe. "Je suis arrivé avec des chansons guitare-voix. Je lui ai apporté les disques Western Romance de Perreau, Fantaisie militaire de Bashung, des albums de Noir Désir, de Fred Fortin et de Renaud. Je lui ai dit que j’aimerais fouiller dans ces univers-là", ne se cache pas Belliard. "J’ai demandé que le texte reste toujours à l’avant-plan. Je ne voulais pas qu’il y ait trop de musique. Je voulais que ça reste de facture assez simple."
LA STAR DU RODÉO
Les textes du jeune frondeur ne sont pas frileux et laissent place à une certaine vulnérabilité, à une transparence rare chez les artistes de sa génération, notamment sur les pièces Laisse-moi pas tranquille (premier single) et Reste. Celui qui s’était d’abord senti appelé par la poésie propose ici une prose brute, à l’image de ses préoccupations sur l’homme, la société et la politique. "Il y a une vraie cassure, pour moi, entre écrire des poèmes et des chansons." Au genre noble qu’est la poésie, il oppose plutôt une rime plus vulgaire et bafouillée sur son album. "Je voulais que ce soit accessible, compréhensible, il n’y a pas 502 sens… Mon but n’était pas de faire avancer la mesure du langage ou d’essayer de renouveler quoi que ce soit. Mon objectif, en chanson, c’est de faire passer des messages, c’est pas de révolutionner la musique au départ. Je m’en fous si le monde dit que j’ai un style assez conventionnel, mon but n’était pas de proposer la nouvelle patente."
L’auteur qui n’a pas la langue dans sa poche chante, dans Attaque multimédia: "Y en a qui bâillonnent la chronique/Et d’autres qui cashent académique/Quand ceux qui t’backent ont leur empire/C’est pas grave d’avoir rien à dire". Le volubile et souriant gaillard explique aussi: "Je ne suis pas un érudit, je suis juste un citoyen qui a des inquiétudes puis qui essaie de les manifester, ça va pas plus loin que ça. Je suis vraiment plus comme un Monsieur Tout-le-monde qui vit des affaires, que ça dérange puis qui en parle. Au lieu d’en parler juste autour d’un café, je les mets sur papier et je les enregistre. Je trouve que la mémoire collective s’essouffle tellement rapidement que peut-être, des fois, ça peut aider à garder le souvenir de certains trucs ou en rappeler d’autres… ça peut les faire durer un peu plus longtemps."
Sur La Star du rodéo, Alexandre Belliard cite aussi un extrait du poème Renier son sang de Denis Vanier, poète qui figure dans sa bibliothèque aux côtés d’autres poètes maudits comme Rimbaud. "Pour moi, un poète qui écrit devant son café sur sa véranda à Mascouche, c’est moins intéressant qu’un gars tout tatoué sur la rue Ontario, qui sort tout nu pour aller chercher son six pack… Ça ne m’amuse pas le café à Mascouche… Mon intérêt va vers ces âmes torturées; leur univers me touche davantage. Cela dit, je ne les idolâtre pas, la plupart ont réussi artistiquement mais sont morts un peu amers. Je regarde Jim Morrison, qui est mort à 27 ans; c’est absolument inacceptable, t’as rien vu à 27 ans, t’es encore un bébé. Moi, je veux être heureux dans la vie, c’est primordial!" clame-t-il. Ainsi, si des poètes du XIXe siècle l’ont inspiré à un moment de son parcours, Belliard s’imprègne maintenant de diverses influences de ses contemporains.
Alexandre Belliard
Piège à con
(Disques Gavroche)