Miss Saigon : Prouesses en scène
Présenter Miss Saigon constitue un défi de taille. Courageuse, la Société d’art lyrique du Royaume n’a pas eu peur de s’y attaquer. Caroline Tremblay et Toshiaki Hamada, chacun à leur manière, y réalisent une véritable performance. À l’aube de la première, fébrile entretien.
Nous sommes en 1975 dans un Vietnam meurtri par la guerre. La jeune Kim, 17 ans, vient de perdre sa famille dans un incendie qui a ravagé son village. Dans un bar clandestin où elle est forcée de se vendre pour survivre, elle rencontre Chris, un G.I. au cœur tendre. Sur cette trame de fond, l’amour passionné rencontre l’horreur et la guerre, les sentiments les plus beaux croisent tout ce que l’humain comporte de laideur. Au milieu, dans cette histoire universelle et toujours actuelle, Kim s’accroche à tout ce qui lui reste et se bat pour que vive son amour, son enfant. "Je vois Kim comme quelqu’un de fort, décrit Caroline Tremblay, interprète du rôle principal. En fait, elle devient solide à cause des événements. Elle a tout perdu, et elle est prête à tout pour garder ce qui lui reste. Elle se dévoue tout entière pour son fils… C’est ce qui la définit le mieux, je crois: elle est dévouée."
FEMME GUERRIÈRE
Après des études en chant au Collège d’Alma, puis en enseignement des arts, option musique, et un certificat en théâtre à l’UQAC, après des rôles dans plusieurs productions musicales (Cendrillon, Hansel et Gretel, Suor Angelica et, récemment, Un violon sur le toit ou Offenbach fait du chantage) et théâtrales (Les Troyennes, Les Voisins, La Serva Amorosa), Caroline Tremblay soutient maintenant son premier premier rôle, et non le moindre, dans Miss Saigon. "Au début, quand j’étais toute seule avec les partitions et cette somme de travail, j’étais stressée, c’est certain! J’avais le vertige! confie la chanteuse. Mais dès que j’ai commencé à travailler avec l’équipe, ça m’a rassurée. Le rôle de Kim comporte plusieurs duos. Je joue une scène seule avec chaque personnage de la pièce, et chacun de ces rôles a son intensité, sa lourdeur dramatique. Ça donne un amalgame d’émotions qui crée une dynamique particulière entre les personnages. C’est comme si j’apprenais de l’intensité de chaque personnage avec qui je chante." Elle poursuit: "Kim est une jeune maman, moi aussi. Je suis aussi allée puiser là pour comprendre le rôle."
Un des plus grands défis de cette comédie musicale réside dans le fait qu’elle ne compte aucune partie parlée. Du début à la fin, tout est chanté. L’histoire est racontée à travers la musique et les chants. Pour celle qui détient le rôle principal, la difficulté est d’autant plus impressionnante qu’elle doit livrer, pendant près de deux heures, une prestation dramatique autant que vocale. "Je ne suis pas toute seule! corrige la jeune femme. C’est un gros travail d’équipe!" Au cœur de cette équipe se tient une force tranquille et rassurante, M. Toshiaki Hamada, le directeur musical. "Une chance qu’il est là! s’exclame Caroline. Comme il a été là depuis le début, qu’il a suivi toute la mise en scène, qu’il nous a dirigés, un par un, il est le lien entre tous les éléments de la pièce. Il est notre repère musical, notre sécurité."
HOMME PHARE
Caroline Tremblay: Je vois Kim comme quelqu’un de fort. Elle a tout perdu, et elle est prête à tout pour garder ce qui lui reste.» Photo: Steven Ferlatte |
De fait, c’est un M. Hamada souriant et d’apparence calme qui lance d’entrée de jeu, d’une voix douce et posée: "C’est un travail gigantesque! Imagine, la musique n’arrête jamais! Alors je suis là pendant deux heures, les bras en l’air, pas le temps de souffler… physiquement, c’est épuisant. Et pour diriger sans arrêt, et sans manquer une note, le chœur, l’orchestre et les solistes, ça demande une concentration incroyable. Je sors de répétition complètement vidé!" Et alors on saisit l’ampleur de la tâche. Cet homme est un phare au milieu de la tempête! Comment fait-il pour ne pas exploser sous le poids des responsabilités? "C’est que ce n’est pas le travail d’un individu, mais d’une équipe. C’est-à-dire que c’est surtout un travail d’accompagnement." Cette nuance est d’importance. Ce directeur musical n’est pas arrivé à la fin des répétitions, pour prendre les rênes et donner ses instructions, il a plutôt été présent à toutes les étapes de la mise en place du spectacle. "Le secret est là, dans ce travail de longue haleine. Ça m’a donné la chance de connaître les points forts et les points faibles de chacun, minimisant ainsi les risques d’accidents de parcours lors des représentations. Je sais où ils peuvent arriver, ces petits pépins, ça me permet d’être vigilant, sensible." Ainsi, il n’y a pas de panacée. Encore et toujours, la seule façon de livrer la marchandise est de travailler, de répéter, répéter, répéter. "À chaque répétition, j’ai fait comme si c’était le soir de la première. J’ai demandé à tout le monde le maximum de musicalité, tout le monde a mis le maximum de fatigue, on a mis le paquet. Et chaque fois, on arrête, et on recommence. Ce qui fait qu’on n’a plus peur des représentations, ce sera un plaisir! Bien que le trac ne s’en aille jamais… Mais le trac, c’est normal, c’est ce qui fait que la musique brille!"
La conversation glisse alors tout logiquement vers les particularités de cette musique. "Au début, quand j’ai vu le choix de la pièce, j’ai compris qu’on m’avait choisi parce que j’étais l’Asiatique de service, avoue M. Hamada, j’étais un peu révolté… Mais non! Ce n’est pas vrai! J’avais peut-être juste un petit préjugé", continue, pince-sans-rire, le directeur musical. "Sauf qu’à l’écoute, j’ai été agréablement surpris. La pièce a été écrite au milieu des années 80 (par Claude-Michel Schönberg, celui des Misérables…), pendant l’avènement des synthétiseurs, qui ont été exploités au maximum. On se retrouve donc avec un orchestre de chambre (avec un saxophone en plus) et trois pianos électriques qui reproduisent entre autres des instruments japonais comme le shakuhachi, le koto, le shamisen ou le taiko. C’est très efficace. Des fois, j’aimerais m’endormir rapidement après une répétition, parce que je sais que le lendemain sera bien rempli… mais je n’y arrive pas parce que les airs me trottent dans la tête!"
On se quitte avec de la musique plein la tête, en se demandant bien quelle sera la dernière pensée de l’homme avant de lever les bras, lorsqu’il sera debout dans la fosse, seul devant le chœur, l’orchestre et les solistes, à la seconde qui précédera le coup d’envoi de Miss Saigon.
Les 23, 24, 29 et 30 avril et le 1e mai
À l’Auditorium Dufour
Voir calendrier Théâtre