Louis Dufort : Le jugement dernier
Le compositeur Louis Dufort signe la musique de l’oper’installation L’Archange, de la compagnie de création lyrique Chants libres. Un véritable opéra du troisième millénaire.
La compagnie Chants libres, dont la soprano Pauline Vaillancourt assure la direction artistique, aligne depuis 1990 les créations les plus iconoclastes et renouvelle à chaque fois les conventions opératiques. Opéras pour voix solo (!) aux mises en scène extravagantes (Ne blâmez jamais les bédouins en 1991 ou Chants du capricorne en 1995) ou intégration de musiques techno (Lulu, le chant souterrain, en 2000) et électroacoustique (L’enfant des glaces, aussi en 2000), rien n’arrête le désir de Pauline Vaillancourt de faire sortir l’opéra de ses gonds. Cette fois-ci, avec L’Archange, une mise en scène de "l’éternel procès de l’archange du mal", elle le sort aussi du contexte habituel de la salle de concert pour investir une salle underground de la rue Sainte-Catherine. Et elle fait appel au compositeur Louis Dufort.
De la musique acousmatique à la vidéo-musique, en passant par la musique mixte avec traitements électroniques en direct, la musique pour spectacles de danse (pour Marie Chouinard et Jocelyne Montpetit) ou la symphonie portuaire, Louis Dufort est un compositeur hyperactif dont l’inventivité surprend l’auditeur à chaque détour. Tout de même, Louis Dufort à l’opéra, ça reste un peu surprenant, non? "Plus ou moins, explique-t-il, parce que je suis un fanatique de l’art total… Je fais de la vidéo ou de la musique pour la danse et je suis très inspiré par les œuvres "enveloppantes", comme celles de Granular Synthesis ou Octophonie de Stockhausen." Dans le genre "art total", on peut dire que L’Archange ne donne pas sa place… Éclairages et costumes, bien sûr, mais aussi des sculptures-installations (que l’on peut voir chaque jour dès 16 h) diffusant sur une quarantaine d’écrans une vidéo d’Alain Pelletier. Et la musique électroacoustique de Louis Dufort.
Pour concevoir la musique de L’Archange, il a rencontré les trois interprètes (la mezzo-soprano Fidès Krucker et les sopranos Émilie Laforest et Frédéricka Petit-Homme), en studio, afin de mieux connaître leurs possibilités avant de créer l’œuvre. "C’est ma méthode de travail habituelle, explique-t-il; je ne suis pas un compositeur de musique instrumentale et je n’ai pas le métier pour l’écriture abstraite: il faut que je parte du son. Chaque interprète a ses particularités, et je préfère travailler sur mesure. De toute façon, c’est si rare qu’une pièce soit rejouée qu’il y a peu de chances qu’elle soit jouée par quelqu’un d’autre que la personne pour qui je l’ai écrite… De plus, comme je travaille le son directement, il y a beaucoup de choses que je veux faire qui ne s’écrivent pas. C’est pourquoi le contact avec les interprètes est important. Le son d’abord, la partition ensuite, toujours."
Le livret d’Alexis Nouss, qui nous fait littéralement assister à un procès dans lequel les trois interprètes agissent comme témoins devant un juge (l’acteur Jean Maheu), comporte un texte très descriptif qui ne se laissait pas mettre en musique si facilement. "La mise en scène de Pauline Vaillancourt met vraiment le texte en valeur et c’était là la base de toute notre démarche, de garder le texte en avant, sans que la musique ne puisse lui nuire. Contrairement à ce que j’ai fait dans certaines productions récentes, je n’avais pas l’intention de transformer leurs voix électroniquement, mais je voulais justement les faire chanter comme elles savent très bien le faire. J’ai imaginé une musique très dense, peut-être la plus complexe que j’aie composée jusqu’à maintenant, et il devenait difficile d’y attacher des mélodies vocales…" La musique de Louis Dufort se caractérise par une forte charge narrative et, dans ce cas-ci, il était important de s’assurer que la musique ne soit pas simplement une illustration redondante de ce que raconte le livret. "Ça démarre de façon très pointilliste, mais l’harmonie s’installe à mesure que se développe l’œuvre. Le travail que nous avons fait ensemble, avec les interprètes, a été très important et on peut certainement dire qu’elles ont contribué à l’élaboration de la musique."
Les trois dernières représentations de L’Archange seront présentées dans le cadre du festival Elektra, mais le tout débute dès le 28 avril. Louis Dufort participera aussi à Elektra en présentant sa nouvelle collaboration avec Marie Chouinard, une installation interactive intitulée Cantique 3, placée dans le hall de l’Usine C; il y fera aussi entendre une nouvelle oeuvre acousmatique.
Du 28 au 30 avril, du 5 au 7 mai et du 12 au 14 mai
À la Station C
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