Jean-François Laporte : Menuisier du son
Jean-François Laporte compose des pièces pour quatuor à cordes, piano, sirène, balloune ou canette d’aluminium volante. Pour l’un ou l’autre des instruments, le son reste le son, une matière avec laquelle on peut construire des univers.
On lui doit entre autres – certains en ont peut-être entendu parler – Les Sirènes volantes et quelques autres pièces pour sirènes de bateau et de train, ou encore L’Éveil d’un Titan pour Tu-Yo, canette sifflante, trompette volante et silo à grain, présenté au Vieux-Port de Montréal dans le cadre du projet Silophone. En fait, depuis certainement une dizaine d’années, c’est bien une cinquantaine de pièces qui sont sorties des expérimentations de Jean-François Laporte. Certaines pour instruments plus traditionnels: violoncelle, piano, violon, flûte, etc.; d’autres pour instruments inventés de toutes pièces: bol magique, canette sifflante, pavillon frottant, pour ne nommer que ceux-là; d’autres encore composées à partir d’objets existants, souvent purement utilitaires, détournés de leur fonction première pour être mis au service de la musique: silo à grain, cale de bateau et tutti quanti.
Compositeur intuitif, Jean-François Laporte veut comprendre le comment et le pourquoi de la matière sonore: "Je me mets dans une position de témoin, vraiment. C’est un travail de disponibilité et d’écoute. Je veux découvrir et comprendre comment le son vibre, comment il se déplace avec tel ou tel mouvement sur tel ou tel instrument, explique l’inventeur. Mais je découvre des choses qui existent déjà! Simplement, je suis porté à utiliser des choses qui ont peut-être été mises de côté par d’autres, parce que c’est ce que moi je trouve stimulant. J’ai une disponibilité pour ça." Une approche très humble qui a comme but ultime de comprendre l’univers, et la place de l’homme au sein de cet univers. En regard de ce genre de démarche, l’expression musique de création prend un sens quasi métaphysique.
D’ailleurs, Jean-François Laporte aborde la composition de façon très physique. Lorsqu’il veut faire naître une nouvelle pièce, il part d’abord de l’instrument, il l’essaie, il l’explore, il pousse jusqu’à l’extrême ce que l’instrument est capable de donner. Puis, il installe au volant de l’instrument un musicien professionnel qu’il guidera dans les avenues qu’il aura jugées les plus intéressantes pour ce qu’il veut faire. "La composition en général est un langage très intellectuel. Moi, ça me parle très peu, j’ai envie de palpable, de toucher. À la limite, je voudrais m’effacer derrière la musique. Le son n’est pas abstrait, c’est quelque chose de concert, une matière manipulable qu’on peut sculpter. Je suis menuisier au départ, et je travaille le son comme je travaille le bois."
L’EXPÉRIENCE KHÔRA
Lors de son passage au Festival des musiques de création, le musicien-menuisier pense présenter Khôra, un spectacle-performance-installation qu’il a créé en 2002 à la Fonderie Darling dans la région de Montréal. Khôra vient d’un terme grec qui signifie: "Espace, matière, milieu spatial. (…) Territoire qui entoure une agglomération, l’espace indéterminé par opposition à l’espace organisé par l’homme." Dans ce spectacle complètement acoustique, sans aucune amplification, les instruments inventés sont placés tout autour du public, qui aura droit à une rare expérience audiovisuelle. "Peu importe où les gens s’installeront, chaque personne vivra une expérience qui sera unique, la personne d’à côté n’entendant pas exactement la même chose que toi. C’est certain que l’auditeur a une part de responsabilité, ce n’est pas un concert où il peut rester passif. Comme il est au centre de l’action, que la musique est tout autour de lui, il ne peut pas se retirer, se défiler." D’autant que cette musique organique vient chercher des sensations beaucoup plus physiques que cérébrales, c’est une musique qui se ressent. "Le public reçoit cette musique à travers son corps", dira son auteur. Il paraît que l’artiste, véritable poète des sons, livre une performance inouïe, chaque fois différente. "Mais ce n’est pas de l’improvisation, précise-t-il. J’agis dans un cadre, un plan défini d’avance. Dans ce cadre, la construction est vivante, mais la structure reste toujours la même. C’est ce qui fait que ce n’est pas de l’improvisation. Je n’aime pas me mettre dans cette position – d’improvisation -; d’autres le font, c’est bien, mais moi ça me rend mal à l’aise, j’ai l’impression de faire n’importe quoi."
Le Festival des musiques de création rend accessibles, année après année, des créateurs aussi importants que l’inventeur de ce spectacle multisensoriel qu’est Khôra. Des créateurs qui demandent un public intelligent et réceptif à autre chose qu’à du gentil prédigéré sauce déjà-vu. On lui doit une fière chandelle.
Le 21 mai à 20 h 30
À la Salle Pierrette-Gaudreault