Aut’Chose : Rockeurs resanctifiés
Aut’Chose, après 25 ans de silence, revient nous hanter grâce à la ténacité d’un fan, avec son rock épouvanté.
Au début des années 70, le Québec commence timidement à rocker avec Robert Charlebois (Lindbergh) et Gilles Valiquette (Je suis cool). Mais ces premiers accords rock sont vite submergés par un nationalisme chansonnier folklorisant. C’est dans ce creuset que surgit Aut’Chose, premier groupe punk rock à voir le jour ici. Produit des expériences de l’underground du Jazz libre du Québec et du Ville Émard Blues Band, dirigé par l’ex-roadie-poète-des-rues-devenu-auteur-interprète Lucien Francœur, Aut’Chose a marqué l’histoire, malgré sa courte carrière, grâce à sa trilogie d’albums: Prends une chance avec moé (1975), Une nuit comme une autre (1975), Le Cauchemar américain (1976), considéré par les fans comme l’album-culte d’Aut’Chose.
"Le phénomène Aut’Chose s’est construit petit à petit, explique un Lucien Francoeur visiblement ému de ce retour aux sources. Moi, je récitais des poèmes avec des musiciens de l’underground et ça commençait à attirer l’attention. Alors je me suis dit que je devrais faire des chansons plus structurées avec ces gens-là. Bien soûls, bien gelés, on a donc enregistré un album avec ce groupe de 80 musiciens qu’on appelait Les Spoutniks de Saint-Guillaume. J’ai donc dû trouver comment chanter mes poèmes et c’est en écoutant Péloquin, Jim Morrison sur The End, Ferré sur La Solitude, mais surtout Polnareff sur Hey you Woman que j’ai eu l’illumination."
Puis une multinationale, CBS, s’intéresse au travail du groupe, mais désire une formation plus… réduite. Francoeur s’entoure donc de quelques musiciens, dont Pierre A. Gauthier et Jacques Racine, un guitariste rencontré dans un magasin de location d’instruments et qui composera la plupart des musiques d’Aut’Chose. "Il y a eu un événement déterminant à ce moment-là: CBS nous a assigné un producteur américain vivant à Toronto, Bob Gallo. Il arrive dans un garage à Sainte-Dorothée, mais il freake pas, c’est un gars de rock qui a connu l’underground américain avec les Young Rascals, ça fait qu’il a compris notre patente. Si on avait eu un gars d’ici, ça aurait sonné comme du Beau Dommage plus rock; avec lui, on est passé de l’acoustique des guitares Norman à un son plus sale."
Prends une chance avec moé sort en 1975 et connaît beaucoup de succès (48 000 albums vendus), même si les auditeurs très conservateurs de CJMS forcent la station à cesser la diffusion de Ch’taime, ch’t’en veux, le premier 45 tours. "Mais Jacques Coco Letendre tripait tellement dessus qu’il s’est embarré dans le studio et l’a fait jouer 13 fois de suite!"
Suivent deux autres albums et trois années de tournée, dont le mémorable spectacle du 8 octobre 1975 avec Offenbach, à la Place-des-Arts. Aut’Chose a désormais sa place avec les Séguin, Harmonium, Valiquette, Plume et Pagliaro sur les scènes québécoises. Sans le savoir, le Québec devient affamé de rock. Un journaliste parle du blanc Beatles/Beau Dommage et du noir Rolling Stones/Aut’Chose…
Puis, début des années 80, survient la rupture presque circonstancielle du groupe: le showbusiness québécois vit une grave crise, les clubs ferment et les groupes n’ont plus de salles où jouer. Or, comme l’explique Francoeur, "un band qui ne joue plus tourne en rond. Il faut que l’argent rentre, sinon les gars se trouvent une job pour gagner leur vie. C’est ça qui nous est arrivé. En plus, je me suis chicané avec CBS, les musiciens voulaient plus d’argent et trouvaient que j’en faisais trop. L’amour de la musique n’arrivait plus à soutenir la cohésion du groupe. Ça s’est éteint comme ça."
Le poète a fait sa route pendant 25 ans. Le reste du monde aussi.
RENAISSANCE
Puis, en 2000, arrive Ronald Mc Gregor, ex-journaliste de Pop Rock et fan de la première heure, qui désire créer un site Web sur Lucien Francoeur et Aut’Chose. Il talonne Francoeur, qui accepte de le rencontrer. Naît ainsi une amitié qui sera au cœur de la renaissance d’Aut’Chose. "J’avais passé huit ans de radio commerciale à CKOI, j’essayais de me retrouver comme poète mais je ne savais pas comment. J’ai fait le pitre à vendre des calottes et des billets de spectacle. Puis, je rencontre Ron, qui me dit qu’Aut’Chose est légendaire, que ça a fait l’histoire; moi je boudais ça, je ne me rappelais que les mauvais souvenirs. Puis des gars comme Daniel Boucher, Marc Déry, Papillon, Loco Locass, Dumas et François Avard me l’ont dit eux aussi. Alors je me suis laissé convaincre."
Lucien Francoeur écrit un album de nouvelles chansons en 2001, Dans la jungle des villes, avec son vieux complice Pierre A. Gauthier. Un disque qui ne verra jamais le jour à cause de la faillite du producteur.
Quatre ans plus tard, Mc Gregor a l’idée de souligner le 30e anniversaire de la formation d’Aut’Chose en organisant un spectacle au Café Campus (qui a eu lieu le 7 avril dernier) auquel participeraient Lucien Francoeur et Jacques Racine, de la formation originale, mais aussi Denis D’Amour (Voïvod), Vincent Peake (Groovy Aardvark), Michel Langevin (Voïvod) et Joe Evil (Grimskunk). "On commence à répéter, je regarde Jacques: ça jouait en tabarnak! J’avais un band qui m’accotait d’aplomb. Je me suis retrouvé 30 ans plus tard avec ce que j’étais à 25 ans, avec les chansons qui m’ont parti dans le showbusiness quand j’étais un punk à Montréal, sans non plus devenir une caricature de moi-même, sans ironie ou dérision. C’était moi, à fleur de peau, brûlé au troisième degré dans l’âme avec ces musiciens qui me poussaient dans le cul. On n’avait jamais joué ensemble et c’était comme si on arrivait d’une tournée de 30 villes. C’est simplement magique."
Après ces Chansons d’épouvante modernes, pas du tout nostalgiques, un coffret des trois albums d’Aut’Chose devrait arriver chez les disquaires en novembre. Et, avis aux fans, on parle aussi d’un cd de nouvelles chansons pour le printemps 2006…
Chansons d’épouvante
Aut’Chose
Artic/Sélect