Thievery Corporation : Détails de taille
Thievery Corporation réaffirme sa pertinence avec un quatrième essai de musiques originales parfaitement convaincant: The Cosmic Game. La preuve que la grâce se cache dans les détails.
1997. Révélé au monde, un an plus tôt, par la compilation DJ Kicks des consorts viennois de Kruder & Dorfmeister, le duo états-unien Thievery Corporation lance un premier album, intitulé Sounds from the Thievery Hi-Fi.
De leur fonderie sonique, ils extraient une musique downtempo lisse et grisante. Un amalgame captivant où se superposent les ambiances langoureuses du trip hop, les sexy contretemps du jazz brésilien, le dub enfumé des sound systems jamaïcains et l’exotisme glamour de sitars et tablas échantillonnés. Une musique qui fera école, copiée mille fois dans les années qui suivront, jusqu’à l’édulcoration complète de cette lounge postmoderne aux relents de world music.
"C’est probablement l’explosion du genre qui nous a forcés à pousser un peu plus loin", avance l’un des chefs de la fondatrice confrérie de voleurs, Eric Hilton, aussi copropriétaire du Eighteenth Street Lounge à Washington D.C. où sont nées l’étiquette indépendante ESL et la formation Thievery Corporation, complétée par Rob Garza. "Je ne crois pas que nous ayons vraiment voulu nous éloigner de ce mouvement, il n’en a jamais été vraiment question, mais nos exigences, elles, se sont affûtées", remarque Hilton. "Non seulement sommes-nous de meilleurs musiciens, mais auparavant, nous aurions cessé de chercher et de travailler les pièces beaucoup plus tôt dans le processus, alors que maintenant, nous fouillons plus longtemps pour dénicher le détail qui fera la différence."
Le détail. C’est grâce à celui-ci que, sans toutefois se réinventer, la planante électro de Thievery Corporation a su éviter l’obsolescence, réaffirmant cette année sa pertinence avec un quatrième essai de musiques originales parfaitement convaincant: The Cosmic Game.
Car, si à première vue peu de choses ont changé dans la méthode de confection des tapisseries sonores du duo à travers les albums (The Mirror Conspiracy en 2000, The Richest Man in Babylon en 2002) et les mix ou remix sessions (Sounds from the Verve Hi-Fi en 2001 et The Outernational Sound en 2004), on constate l’évolution du travail et de ces fameuses exigences dans une finesse qui se découvre au microscope, dans le détail d’un contrepoint, dans une méticulosité qui, chez les bidouilleurs, sépare le bon grain de l’ivraie.
ROCK EN STOCK
Le désir d’évolution se veut toutefois plus ostensible sur The Cosmic Game qui convie quelques vedettes rock au service des mêmes ambiances feutrées. "Rob et moi cherchions deux choses en faisant ce disque, expose Hilton: ajouter une touche rock et aussi approfondir une certaine forme de psychédélisme, deux trucs qui se retrouvent dans les musiques des années 60 et 70 que nous écoutions beaucoup au moment de concevoir ce disque. L’élément rock, nous l’avons trouvé chez ces collaborateurs, et l’élément psychédélique, dans une plus grande utilisation du dub".
Côté rock, donc, ce sont les Flaming Lips qui ouvrent le bal, le chanteur Wayne Coyne prêtant sa voix de fausset à Marching the Hate Machines (Into the sun), une collaboration tissée de connivences, une parfaite symbiose de deux univers compatibles. Plus loin, c’est David Byrne qui pose en tant qu’invité de marque sur un The Heart’s a Lonely Hunter, cependant moins efficace, tandis que la plus grande surprise est sans doute la participation de Perry Farrell à Revolution Solution, un dub hypnotique où l’on découvre le chanteur des Jane’s Addiction et Porno for Pyros au meilleur de sa forme, aux commandes d’un véhicule qui lui sied parfaitement, sa voix un peu moins haut perchée qu’à l’habitude.
"Nous avons appris que Perry, lors d’une conférence de l’industrie musicale, avait vanté les mérites de notre musique, raconte Hilton. Nous étions très surpris. Nous savions qu’il était intéressé aux musiques technos, mais il versait plus dans une sorte de house progressive, assez loin de ce que nous faisons. Aussi, et sans doute parce que, contrairement aux Flaming Lips [des amis connus en tournée] et David Byrne [pour lequel le duo avait déjà produit un remix], nous n’avions jamais rencontré Perry et redoutions un peu ce qui résulterait de cette collaboration, cette rencontre très réussie a quelque chose de surprenant et d’assez réjouissant."
ÉLARGIR LE CERCLE
Surfant sur le succès – presque certifié platine – de la B. O. du film Garden State sur laquelle brille la très belle Lebanese Blonde (The Mirror Conspiracy) en compagnie d’autres morceaux de choix interprétés par nuls autres que Coldplay, The Shins, Zero 7, Nick Drake et autres Simon & Garfunkel, le duo est fortement soupçonné de vouloir élargir son cercle d’initiés, d’où la présence d’invités de marque sur The Cosmic Game.
Ce que Hilton confirme, concluant toutefois qu’il est risqué de miser sur la présence de voix aussi remarquables. "Si certains critiques plus mainstream accrochent à cause de ces noms, qu’ils s’intéressent à notre musique alors qu’autrement, ils ne l’auraient pas fait, c’est tant mieux, lance-t-il. Par ailleurs, je crois que nous avons évité l’écueil qu’auraient pu constituer ces collaborations, soit qu’elles éclipsent le reste du travail. Pour moi, les meilleures pièces de ce disque ne sont pas nécessairement celles où figurent ces gens. Ce sont les Warning shots, Amerimacka ou Wires and Watchtowers sur lesquelles chantent les Gunjan, Notch ou Sista Pat, des gens que nous recrutons pour la plupart dans des clubs de Washington. Nous sommes très chanceux d’avoir obtenu les services de musiciens plus connus, mais nous sommes autrement très choyés, car tout près de nous, et depuis le début de l’aventure, il y a tous ces talents méconnus, mais incroyables, qui nous permettent de faire cette musique."
Le 19 mai
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