ZPN : RaZ-de-marée
Le rappeur ZPN travaille à rendre plus prospère la culture hip-hop dans la francophonie. Le Z se défait de son masque pour un monde meilleur…
Le rappeur francophone de la région ZPN – David Muipatayi de son vrai nom -, lançait un premier disque solo en 2003, Le Masque de Z, montrant ses couleurs de rimailleur aux propos engagés, un brin incisifs. Originaire du Congo (ex-Zaïre), celui que ses amis appellent Z a vécu quelques années en France et en Belgique avant de s’installer au Canada il y a une dizaine d’années. Il travaille depuis à consolider la scène hip-hop de la région en organisant différentes manifestations culturelles, dont Le Z Show Festival, le premier festival de hip-hop francophone de ce genre dans l’Ontario. "Je sens ça comme une responsabilité. Je suis forcé d’organiser des trucs, ce n’est pas mon travail de le faire, mais si je ne le fais pas, je pense que personne ne le fera. Parfois, j’en ai marre, j’ai envie de tout laisser tomber, je me dis qu’on ne s’en sortira jamais, ça m’arrive tous les trois ou quatre mois, mais il y a toujours un petit coup de pouce, une petite nouvelle qui survient et qui me fait dire "Non, continue…"" explique le consciencieux chanteur qui a fait ses études en relations publiques et en assistance juridique.
Gagnant du Prix du public au défunt concours Tout nouveau, tout show de Radio-Canada en 2000, ZPN fondait un peu plus tard le groupe Afro Connexion avec ses potes Lynx XX, LB 4Life et Olympe et raflait le Prix Découverte de l’année aux Prix Trille Or de 2003. "Ça a pris du temps avant que le hip-hop francophone prenne sa place dans la région. Vers 97 ou 98, quelques âmes ont commencé à rapper à Aylmer, à Hull, à Gatineau, petit à petit, chacun dans son coin. Mais le problème a toujours été l’exposition, il n’y avait aucune place où se produire, pas de lieux de diffusion. Puis, des gens ont commencé à prendre l’initiative d’organiser des shows et puis, tout d’un coup, une foule incroyable de gens apparaissait!" remarque l’artiste, qui a aussi obtenu une première nomination à l’ADISQ l’an dernier dans la catégorie Album hip-hop de l’année, aux côtés des Loco Locass et de Sans Pression.
En réponse aux préjugés et à l’ignorance souvent liés à ce style de musique et à sa mentalité, le Festival comprend une section importante portant sur les origines du hip-hop et ses différentes formes d’arts. "C’est la raison et la base même de ce festival, qui est là pour éduquer le public, les parents, les médias…La culture hip-hop est arrivée dans la région et personne n’a expliqué ce que c’était. Les jeunes s’y sont intéressés, mais les gens d’un certain âge n’ont pas compris pourquoi les jeunes s’habillaient comme ça, pourquoi ils étaient là, pourquoi ils parlaient comme ça…" note le sympathique rappeur, rencontré par un jour ensoleillé sur une terrasse dans le secteur Hull.
LA RÉFORME
Libre-penseur, ZPN n’a pas la mentalité de certains rappeurs américains gangsta-chic qui s’entourent de voitures et de femmes et qui tiennent des propos sexistes. "Les rappeurs anglophones qui ne parlent que de femmes et de leurs rimes, je ne suis pas capable. C’est bien au début, quelques chansons comme ça, mais quand tu fais deux puis trois albums qui ne parlent que de ça, franchement…"
"D’autre part, la majorité des jeunes Noirs américains n’a pas d’autre choix que d’être gangster pour survivre. On reproche souvent au rappeur américain de n’avoir rien à dire, mais comment veux-tu qu’il te parle de quelque chose qu’il ne connaît pas? Il ne faut pas reprocher à l’aveugle de ne pas voir… Depuis qu’il est petit, il sait que c’est l’argent, le bling bling, et que s’il veut être respecté, il faut qu’il ait un gun, qu’il "flashe", qu’il ait des body guards… Alors si tu veux qu’il te parle d’autres choses, il faut changer la société à la source".
Interviewé pour le Spectacle contre la discrimination raciale plus tôt cette année, ZPN avait dénoncé dans les médias les policiers de la région qui se montraient on ne peut plus insistants, le contrôlant régulièrement pour de simples vérifications. Il dit que le harcèlement a cessé depuis. "Parce que je suis black, que j’ai les cheveux en l’air et que je porte un gilet à capuche, des joggings et des baskets, on va croire que je ne suis pas intelligent, que je suis un petit voyou, un petit con… On ne dira pas que je suis un père responsable, que j’ai fait des études…", note l’artiste navré, qui constate encore beaucoup de racisme chez ses contemporains.
Ce qu’il reproche surtout à l’industrie musicale, c’est de ne pas laisser assez de place à cette culture grandissante qui ne demande qu’à s’épanouir. "Ceux qui tiennent les radios, ceux qui soi-disant se battent pour la francophonie, nous pompent les oreilles avec des musiques des années 50-60 et 70. Ils rendent un mauvais service à la francophonie en ne donnant aucune chance à la relève. Je ne vais pas aller donner des vitamines à un arbre s’il a 20 ans, je vais donner ça à une petite fleur, c’est ça le truc! Il faut arrêter de bloquer la relève si on veut que les jeunes continuent à aimer le français, à le parler et à évoluer en français."
Très attaché aux valeurs familiales, le rappeur y consacre deux chansons sur son dernier opus. Dieux sur terre – dont le clip est présentement en rotation sur MusiquePlus – se veut un hommage à son père alors que Miss Anaïs a été écrite pour sa petite fille, qui représente tout pour lui: "Elle est trop importante pour moi. Par rapport à une certaine enfance que j’ai eue, Anaïs, c’est comme une guérison. Ça me pousse à ne pas faire les mêmes erreurs, à ne pas manquer à l’appel, ça fait vraiment du bien, ça rétablit la balance", explique-t-il avec émotion.
Entre deux combats, donc, ZPN prépare, avec ses comparses, le prochain album d’Afro Connexion, qui devrait paraître à l’automne. Il travaille aussi à l’écriture de son deuxième album solo, qui est prévu pour l’an prochain. Ce dernier prendra une tangente différente du premier, dont l’auteur n’est plus tout à fait satisfait, avec des mélodies entraînantes ainsi que des propos toujours aussi acérés et teintés de son humanité.
Le 4 juin
À la Nouvelle Scène
Le Masque de Z
ZPN
(African Kings)
www.zpn.ca
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LE Z SHOW FESTIVAL
Le Z Show Festival débute à 12 h avec une animation mettant en vedette des DJ de la région, et ce, jusqu’à 14 h. Suivront de courts spectacles de rap donnés par des artistes de la région – dont Le Shah Loskar, 8ième Art, Kalibre, 7IMVWA, T.I.P. -, entrecoupés de démonstrations de danse hip-hop et de break dance, avec, notamment, The Canadian Floor Masters. Vers les 18 h, des démonstrations de freestyle battle s’entameront avec Mounfou, D-Track et KevinK. "Le hip-hop, au départ, c’est un combat verbal, c’est là l’essence même de cette musique. Ce sont des DJ dans les années 70 qui mettaient deux vinyles nez à nez, comme si les chanteurs combattaient verbalement. Et cette essence-là est toujours vivante aujourd’hui avec le freestyle battle", explique ZPN à ce sujet. Une série de spectacles clôturera ensuite le Festival dès 19 h, avec les groupes Shoddy & GLD, Why Us, Kulcha Connection, ZPN et Afro Connexion, Yvon Krevé et Sans Pression, alors qu’ils se retrouveront ensuite sur scène pour un rappel final. De plus, il y aura, tout au long de la journée, une exposition d’art graffitique ainsi qu’un historique illustré de la culture hip-hop. Le 4 juin à La Nouvelle Scène d’Ottawa (333, rue King Edward). Renseignements: www.lezshowfestival.com.