Sandrine Kiberlain : Hardie Kiberlain
Sandrine Kimberlain délaisse le cinéma et fait sa chanteuse sur un disque sincère, élégant et bancal à la fois, qui la rapproche plus de Françoise Hardy que de la cohorte de ses collègues actrices-chanteuses.
C’est dans un grand hôtel parisien, le Montalembert, que Sandrine Kiberlain nous a donné rendez-vous. Elle est grande et belle et blonde, comme au cinéma, mais vient en fait nous parler de tout sauf de cinéma. Aujourd’hui, Sandrine Kiberlain est chanteuse, et c’est avec un premier album étonnant, Manquait plus que ça, qu’elle vient à notre rencontre. Parlons-en d’emblée, le coup de l’actrice qui chante est désormais classique en France. De Brigitte Bardot à Vanessa Paradis, d’Anna Karina à Isabelle Adjani, des générations d’actrices se sont retrouvées derrière un micro, avec plus ou moins de réussite, soutenues par des compositeurs de plus ou moins grand talent, quand il ne s’agissait pas de Serge Gainsbourg (qui fut à l’œuvre dans le cas des quatre "actrices-chanteuses" citées précédemment).
NI CARLA NI VANESSA
Sandrine Kiberlain, consciente de l’héritage qui la précède, a décidé de déminer le terrain à l’intérieur même de son disque: "elle fait sa Carla [Bruni], elle fait sa Vanessa [Paradis]", chante-t-elle sur l’un des morceaux du disque, après avoir au préalable demandé l’autorisation à ses deux collègues. Voilà, comme ça, c’est fait. "Je n’avais pas envie de faire un disque sans y prendre du plaisir ni sans que cela m’apparaisse assez logique", explique Sandrine Kiberlain. Cette logique, les spectateurs les plus assidus des films de la réalisatrice française Laetitia Masson l’avaient certainement déjà perçue. Que ce soit dans En avoir ou pas ou dans À vendre, on avait pu voir Sandrine Kiberlain utiliser sa voix en murmurant aussi bien les paroles de Nick Cave que celles de Johnny Hallyday. Un grand écart étonnant que l’actrice ("Je compte bien continuer à tourner") cultive avec une grâce bien à elle sur Manquait plus que ça, charmant disque qui jongle avec les contradictions et les étiquettes. "Mon disque est à la fois dans l’éphémère et la légèreté des choses, comme dans la profondeur et l’intensité du moment. Pour moi, l’écriture se conçoit comme ça. Appuyer ce qui est intense, et alléger ce qui est léger", explique Sandrine Kiberlain, qui par cette profession de foi ouatée et presque naïve se place délibérément en marge de toute une clique de chanteuses françaises empêtrées dans une sauce émotionnelle aigre-douce, où les chansons vous tombent des oreilles comme de mauvaises boucles d’oreilles fantaisie. "J’ai l’impression que j’ai passé le cap de l’adolescence. Je n’ai plus envie d’exprimer les choses d’une façon poétique et grave. Il n’y a jamais de premier degré dans ce que j’écris", avoue Sandrine Kiberlain.
SOUCHON EN RENFORT
Après avoir écrit la totalité des textes de son disque, en catimini pour la plupart, celle qui se dépeint avec humour comme une "godiche" a décidé de passer la scène française au peigne fin. Et a décidé de se tourner vers Souchon père (Alain) et fils (Pierre), Camille Bazbaz et l’arrangeur Michel Coeuriot pour mettre au point l’emballage musical de son disque. Une équipe qui n’occupe pas les postes de prédilection de l’avant-garde française, mais qui correspondait pile à ce que voulait Kiberlain, un pont idéal entre qualité et variété, variété n’étant pas pour elle un gros mot. "Quand Alain et Pierre Souchon m’ont envoyé leurs compositions après que je leur ai demandé de travailler pour moi, tout coulait de source, la cohérence était là. Souchon, je l’avais déjà croisé à Paris, avec son bob sur la tête. On avait échangé quelques phrases, sans aller très loin, mais j’avais senti qu’il se passait un truc bien, qu’on avait des points communs", note Sandrine Kiberlain.
UNE FILLE, DES GARS
"Benjamin Biolay m’avait proposé de bosser sur mon disque. Mais ce qu’il fait, ça ne me ressemble pas, ce n’est pas pour moi. Je suis assez fière du fait d’avoir pu garder la ligne que je m’étais fixée, d’avoir pu obtenir la musique que je souhaitais avoir. Et puis, je crois que tous ont adoré l’idée de la bande de mecs qui travaillent avec une fille. Et moi, de mon côté, j’ai adoré être la fille du groupe." Et le résultat vaut la peine qu’on s’y attarde. Jouant avec une habileté rare sur le registre de la "présence-absence", Sandrine Kiberlain évoque plus un mélange de Françoise Hardy et d’une fille de son âge qu’on ne sait quelle actrice-chanteuse. Sincère, élégant et bancal à la fois, Manquait plus que ça est le disque d’une jeune femme qui se regarde tous les jours avec beaucoup de lucidité, dans un miroir déformant juste ce qu’il faut pour rester honnête, en n’appuyant jamais – du moins devant nous – là où ça fait mal. Et tout ça, ça lui va plutôt bien à Sandrine Kiberlain.
Manquait plus que ça
(Virgin, EMI Import)