Marcel Aymar : Le bruit des origines
L’énigmatique Aymar, musicien vétéran, habile auteur et créateur multidisciplinaire, s’arrête un moment pour décortiquer son évolution. Entretien avec un éternel artiste.
C’est entouré d’une panoplie de schémas et de plans de scène éparpillés sur une table de cuisine que me reçoit Marcel Aymar. Avec son complice éclairagiste Mark Delorme et sa conjointe Anne-Marie White, Aymar travaille à organiser un spectacle alliant musique, chanson, théâtre et projections vidéo pour rendre hommage à son ancien acolyte André Paiement, figure de proue du théâtre et de la chanson francophone ontarienne. Il prend une brève pause, l’instant de faire le point sur une carrière mouvementée et influente qui l’a amené à explorer une multitude d’avenues artistiques.
LE PRÉCURSEUR ACCOMPLI
Marcel Aymar, un des édificateurs du Théâtre du Nouvel Ontario, taille également sa place dans l’histoire en tant que membre fondateur de l’important groupe franco-ontarien CANO, au sein duquel il passera une décennie, de 1975 à 1985. À la suite de cette folle aventure, Aymar se retire des feux de la rampe. "Pour un bout de temps, je voulais m’éloigner de la scène, de tout ce côté-là de la musique. Avec l’expérience qui rentrait, il a fallu que j’essaie autre chose. Je ne voulais pas faire uniquement de la chanson. C’est pour ça que je me suis concentré sur la composition de musique pour des films et pour le théâtre", explique l’artiste. Ce retour au théâtre, il l’effectua à la fois comme comédien et comme musicien.
Par la suite, ses réalisations musicales se succèdent dans le monde télévisuel, notamment lorsqu’il signe la trame sonore de la minisérie Francœur. Il y aura ensuite une courte idylle pendant laquelle il manipulera poésie et musique avec Jean-Marc Dalpé. Mais après quelques années loin de la chanson, Aymar ressent le besoin de s’y replonger. "À un moment donné, vers la fin des années 90, j’ai eu le désir de revenir un peu plus à la scène. Faire un CD, ça donne un prétexte pour faire plus de scène."
LE FRUIT DU LABEUR
Photo: Carl Durocher / Le Loft 1911 |
Il a fallu plusieurs années avant qu’Aymar achève de tisser son premier album solo. L’album éponyme, paru en 2003, se démarque par son éclectisme en faisant honneur à la fois à son passé folk et à la chanson traditionnelle, en embrassant les tendances plus modernes et en puisant dans les écritures à la forme plus libre dans lesquelles il avait pataugé pour ses projets cinématographiques, télévisuels et théâtraux. Néo-Écossais d’origine devenu ensuite Franco-Ontarien, Aymar, fortement inspiré par l’Acadie, ne se gêne pas pour faire usage de l’anglais et du français dans ses textes, employant également divers accents. "Toutes ces identités-là, tous ces accents, ça m’intéresse beaucoup. Comme c’était un album éponyme, je voulais me servir de tout ça. C’est vraiment une recherche culturelle, une recherche personnelle."
Le disque respire la marginalité naturelle de l’artiste ainsi que son intégrité. "L’idée de l’album, c’est un peu ma révolte contre les dirigeants de compagnies, les dirigeants de médias. En général, c’est une industrie qui oblige les artistes à écrire des chansons pour se soumettre à un créneau parce que c’est plus facile à vendre, plus facile à commercialiser, etc. En tout cas, moi, comme consommateur, j’aime ça quand j’écoute des choses plus éclatées. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui sont comme moi, dans ce sens-là. Je voulais vraiment faire un album qui était comme ça. Si deux chansons se ressemblaient, j’en changeais une ou je l’enlevais", explique-t-il.
Ironiquement, en s’éloignant des standards soi-disant prescrits par l’industrie, Aymar s’est valu une marque de reconnaissance considérable lors du dernier Gala Trille Or en raflant quatre prix, notamment comme auteur-compositeur et comme interprète. "Ça me fait énormément plaisir de voir que c’est reconnu comme ça. Je pense que ça revient beaucoup à l’intégrité de l’artiste. C’est ce que les gens ont ressenti."
Voilà qu’après avoir accumulé de l’expérience dans diverses disciplines, Aymar entend mettre sur pied quelques projets alliant ces multiples domaines. Il tentera d’abord l’expérience avec l’Hommage à André Paiement, un projet qui lui tient à cœur, et sera également de la partie pour Le trente, ça me tente, spectacle à grand déploiement célébrant le 30e anniversaire du Festival franco-ontarien.
[Hommage à André Paiement]
Le 23 juin
À l’Astrolabe
Voir calendrier Chanson
ooo
HOMMAGE À ANDRÉ PAIEMENT
Malgré son décès au jeune âge de 27 ans, André Paiement – pionnier du Théâtre du Nouvel Ontario, membre fondateur du groupe CANO et artiste au nombre des "révolutionnaires sereins" – a laissé une trace considérable dans l’histoire franco-canadienne. Pour souligner son importance, ses anciens camarades, l’auteur-compositeur-interprète Marcel Aymar et l’éclairagiste Mark Delorme ainsi que la metteure en scène Anne-Marie White, réunissent les membres de CANO ainsi qu’une pléiade d’artistes et de comédiens pour un spectacle hommage multidisciplinaire.
"[André], c’est le premier à avoir foncé avec le théâtre francophone en Ontario. C’est un pionnier. C’est important qu’on le remette sur scène, qu’on le remette sur la place publique", explique Aymar.
"Ça fait trois ans qu’on travaille à amasser les fonds nécessaires pour un spectacle de cette envergure-là, avec une mise en scène, avec des danseurs et chorégraphe, quatre comédiens, des DJ, des projections vidéo et des invités spéciaux", explique Mark Delorme. S’ajouteront à la voix d’Aymar celles de Michel Bénac (Swing) et Pandora Topp.
"On voulait dépoussiérer tout ça. Réinventer tout ça. Ça a déterminé un peu le choix des comédiens, des gens plus jeunes. Ça balance bien avec les vieux de CANO", s’exclame Anne-Marie White en riant. "On travaille avec une matière qui a existé il y a longtemps, mais on la travaille avec un œil d’aujourd’hui. On la met au goût du jour", rajoute-t-elle. "C’est toutes les répercussions du théâtre d’André Paiement, de la musique d’André Paiement, complète Mark Delorme. C’est le contexte que beaucoup de monde n’a pas eu la chance de voir. André a toujours voulu créer cette ambiance. Nous, ça nous donne l’occasion de gérer tout ce monde-là, de faire un spectacle d’envergure et de haute qualité, avec un budget qu’on n’aurait jamais eu quand on était dans CANO." (M.-A. Mongrain)