Daniel Lanois : L’ombre et la lumière
Généreux et disert, Daniel Lanois raconte la genèse de son nouvel album, Belladonna, œuvre claire-obscure se voulant le reflet d’une époque oscillant entre soleil et grande noirceur.
Le début du mois a été lumineux pour Daniel Lanois. Habitué aux spots tamisés des studios musicaux, il a renoué avec l’éclatante lueur des projecteurs lors d’une cérémonie honorifique étoilée, à Toronto. À l’instar de quelques-uns de ses plus illustres contemporains – Paul Anka et Alanis Morissette, notamment -, le p’tit gars de Gatineau a vu son nom immortalisé sur l’Allée des célébrités canadiennes. L’hommage n’est pas banal. Fruit d’un vote populaire, il confirme que la renommée du musicien-producteur a débordé le seul cadre de la critique et des aficionados. D’abord reconnu pour son travail comme producteur (pour U2, Bob Dylan et tutti quanti…), Lanois est également un compositeur talentueux, patient et minutieux, qui crée des musiques selon un rythme ne souscrivant qu’à des impératifs intérieurs. Il vient d’ailleurs de faire paraître Belladonna, disque bref mais évocateur, qui peint le portrait du monde en 13 vignettes instrumentales subtiles, aérées, troublantes. Nous avons joint Daniel Lanois à l’aube il y a quelques semaines, dans son repaire de la Ville des anges, alors qu’il profitait d’un doux instant de pénombre avant de faire face aux rayons du jour.
Votre nouveau disque, Belladonna, paraît à peine deux ans après Shine. Vous nous aviez habitués à de plus longues périodes d’attente…
"C’est vrai, j’ai changé d’approche. Finies les restrictions, à bas les murs. Désormais, quand je compose quelque chose que j’aime, j’en fais un disque. Ce n’est pas plus compliqué que ça."
Qu’est-ce qui a conduit à la naissance de Belladonna?
"Je dirais que c’est une collection d’expériences de laboratoire. Je passe beaucoup de temps en studio, c’est mon habitat naturel. Là, par hasard, je tombe parfois sur des choses très belles. J’ai envie d’en rendre compte, même si cela ne se traduit pas par la création de chansons en bonne et due forme, avec paroles et tout. Je crois que cette musique, même si elle est instrumentale, mérite d’être entendue. Certains de mes disques préférés sont justement des créations instrumentales. Je les compare à autant de voyages. Ce sont des musiques qui transportent, qui élèvent, qui stimulent l’imagination. Belladonna est une invitation au voyage."
Est-ce aussi une invitation au rêve? Certaines ambiances, certains climats renvoient à ce moment où, à la frontière du sommeil, on s’apprête à basculer dans le songe. Quel mood cherchiez-vous à installer?
"Mood est le bon mot. Chaque morceau possède un mood très fort. Mais ce qui caractérise ce mood, à vrai dire, c’est sa dualité. Prenez Telco, par exemple. En surface, on remarque une belle mélodie, simple et classique. Derrière la façade, toutefois, on remarque des bruits plus sombres, de nature instable. Je vois dans cette dualité le reflet de notre époque. Nous, Nord-Américains, menons la belle vie; cela s’entend dans la jolie mélodie. Ailleurs dans le monde, beaucoup de gens souffrent; cette souffrance s’exprime dans les sonorités, plus torturées, qui sont reléguées à l’arrière-plan – on entend une ambulance, des coups de fusil…"
Certains critiques ont comparé Belladonna à une trame sonore pour film imaginaire. L’analogie vous semble-t-elle pertinente?
"Tout à fait. Les gens possèdent une imagination fertile et c’est bien qu’on leur permette d’en faire usage. En tournant leurs propres petits films intérieurs, pourquoi pas."
Vous travaillez vous-même à un projet de film, bien réel celui-là, qui s’intitule Giorgio. Ça ressemblera à quoi?
"C’est un projet expérimental. Je me sers du cinéma pour exprimer certaines idées qui me tiennent à cœur. Enfin, c’est l’histoire d’un petit garçon de l’espace qui aboutit sur Terre. Il est très candide, mais il possède un pouvoir extraordinaire: les antennes pointues qu’il a sur la tête lui permettent de voyager dans le temps. Paradoxalement, cette particularité contribue à l’ostraciser. Il cherche donc à se faire accepter. Heureusement, il a grand cœur et sait se montrer très généreux […]. Un jour, il ira à la guerre, il mourra, puis ressuscitera. Comme un petit Jésus-Christ de l’espace…"
La guitare pedal steel figure avantageusement sur Belladonna. C’est un instrument qui semble vous fasciner tout particulièrement. Pourquoi?
"Je ne m’en lasse jamais. Elle a un son tellement pur, je la conçois un peu comme l’extension de mon âme. J’ai commencé à jouer de la slide à 10 ans, mais je me suis mis à la pedal steel vers 15 ans. Je jouais à Toronto, rue Yonge. Il y avait là une boîte géniale, l’Edison, où la musique country était à l’honneur. Je me produisais au Brown Derby, juste à côté. Entre deux sets, j’allais à l’Edison pour entendre Bob Lussier, un maître de la pedal steel. Il est devenu mon professeur, mon mentor. Malheureusement, on s’est un peu perdus de vue avec le temps. Il habite toujours la région de Toronto, à ce qu’il paraît."
Qu’est-ce qui, dans votre démarche artistique, vous pousse à vous dépasser?
"J’ai toujours été habité par une flamme. Je crois que ceux qui possèdent cette flamme ont conscience qu’il s’agit d’un don. Un don qui peut être difficile à assumer, parfois, lorsque la flamme devient trop vive. Dans mon cas, la flamme est forte, mais je réussis bien à la dompter."
Comme réalisateur, vous êtes amené à donner beaucoup aux gens avec qui vous travaillez, à échanger avec eux. Que vous apporte cette dynamique particulière?
"J’ai toujours beaucoup apprécié les échanges, qui sont favorables à l’apprentissage. On y prend goût et, d’une certaine manière, ils finissent par rendre accro. C’est extrêmement grisant de partager avec quelqu’un comme Bob Dylan, par exemple… Cela dit, je suis altruiste de nature. J’ai toujours aimé travailler pour d’autres. C’est ainsi que j’ai commencé dans le métier. Je ne voulais pas faire ce travail, mais c’était dans ma nature de le faire. C’est un peu comme être père: on prend les petits sous son aile, on leur refile des conseils…"
De U2 à Bob Dylan, en passant par Peter Gabriel, vous avez réalisé certains albums d’une intéressante brochette d’artistes ces 20 dernières années. Avec qui choisiriez-vous de travailler, si on vous donnait carte blanche?
"J’aimerais ressusciter Jimi Hendrix (rires)! Je pense que je le mettrais au défi de produire une musique plus mélodieuse. Je possède un sens de la mélodie que j’aurais aimé mettre au service de ses chansons."
Le 7 juillet à 21 h 20
Sur la scène Molson Dry (Parc de la Francophonie)
Daniel Lanois
Belladonna
(Epitaph)