Erik Truffaz : L'alchimiste
Musique

Erik Truffaz : L’alchimiste

Erik Truffaz, en plus de souffler son âme par sa trompette, réunit l’Occident et l’Orient sur son dernier disque Saloua. Entretien avec l’homme qui transforme les trompettes en guitares.

"Si vous humez à l’intérieur d’une trompette, vous sentirez une sorte d’odeur de métal se situant entre l’huile qu’on doit mettre pour les pistons et le métal, un peu comme certains moteurs de voiture qui ont une odeur caractéristique", raconte le trompettiste Erik Truffaz, à quelques heures du pendant jazz/classique/variétés des Victoires de la musique, en France, où il se rendait pour recevoir un Prix du public la semaine dernière. Attiré dès son jeune âge par le parfum cuivré de la fanfare du village, fasciné par la distorsion de son image sur le cornet ventru des tubas, alors écartelé entre des passions naissantes pour Miles Davis et Deep Purple, Truffaz sut faire coexister ses intérêts pour le rock et le jazz en électrifiant sa trompette à l’aide d’une pédale wah-wah. "J’avais découvert comment la transformer en guitare."

Avec le temps, il a peaufiné cet art délicat de la fusion des genres, cet intérêt manifeste pour les alchimies de toute nature, jusqu’à Saloua ("miel du paradis" en arabe, nom de la copine du chanteur), son petit dernier, lancé ce printemps, un disque qui entrelace le rap de Nya en langue anglaise, les chants soufis de Mounir Troudi, les envolées impressionnistes de trompette, quelques éléments de dub et de rock, une touche d’ambiant… des avenues diversifiées, déclinées à partir d’un esprit jazz. En résulte un album sous influence arabisante jusque dans les paroles, des textes évoquant le conflit israélo-palestinien, ce qui semble en grande partie lié à la présence du Tunisien Mounir Troudi. "Je voulais simplement épanouir cette relation. C’était comme une histoire que je n’avais pas fini de raconter. Après Mantis (Blue Note, 2002), on a fait deux ans de tournée. On avait déjà élaboré d’autres titres et je voulais enregistrer tout ça. J’ai composé les musiques en relation avec ce que m’inspirait Mounir."

Au carrefour de ces multiples influences, Saloua apparaît comme le dynamique médiateur entre les continents et les genres. "De mon point de vue, c’est un disque qui réunit plusieurs directions que j’ai en moi en ce moment, une sorte de synthèse de mon parcours, des musiques desquelles je suis proche", observe le premier Français signé sur Blue Note. Très marqué, lors de ses premiers enregistrements, par le hard bop des années 60, il est désormais tourné vers les musiques d’aujourd’hui – ce qui le rapproche de Nils Petter Molvær -, une différence qui s’entend notamment dans les expérimentations électronifiées, par ce sens du rythme très actuel, par le recours au hip-hop élastique de Nya, qui avait aussi laissé une forte empreinte sur le précédent disque, Bending New Corner.

Après plus de 30 ans de vie commune, où en sont Truffaz et sa trompette? "J’apprends encore des choses sur elle: par les autres instruments. En écoutant la flûte indienne, par exemple, j’ai appris à utiliser d’autres palettes. La névrose, chez les trompettistes, c’est d’essayer de jouer le plus haut possible; moi c’est devenu le contraire, j’essaie d’aller plus bas…" Et lorsqu’on est marié avec un instrument depuis si longtemps, est-ce un peu comme quand on a épousé quelqu’un? "Quand on est marié, on vit avec quelqu’un qui a une âme, qui a sa propre vision des choses, tandis que l’instrument, c’est sa propre âme qu’on met à l’intérieur… Remarquez, il faut que je pèse mes mots, ma femme est à mes côtés, alors… (rires)."

Le 4 juillet
Au Spectrum
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