Federico Aubele : Mémoire affective
L’Argentin Federico Aubele a passé son enfance à dormir avec la guitare de sa mère rangée en dessous de son lit… avant de découvrir cette piste de course rêvée pour les petites autos. Voici ce que ça donne 30 ans plus tard.
Buenos Aires, fin décembre 2001: l’Argentine est plongée dans une grave crise économique et sociale. Cinq chefs d’État sont élus puis chassés en deux semaines. Le peso est dévalué. Le taux de chômage monte à 25 %. Paupérisée par 42 mois de récession, la population argentine, dont près de la moitié des habitants galèrent sous le seuil de la pauvreté, en a assez et laisse éclater une colère trop longuement contenue. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants manifestent leur mécontentement, pillent magasins et supermarchés, s’en prennent à des bâtiment publics, en ont ras le bol d’être menés par un parti pollué par la corruption.
Dans son appartement de Buenos Aires, Federico Aubele travaille sur la maquette d’un disque et décide de consacrer une chanson, El amor de este pueblo, à ces moments troubles de l’histoire de la ville où il est né. "Il y avait toutes ces émeutes… C’était un peu fou. J’ai senti le besoin de faire quelque chose là-dessus à travers ma musique. Il n’y a pas de message politique clair dans ma chanson; l’enjeu, pour moi, fut de mettre en musique ce que je ressentais face à tout ça, mes impressions. J’ai téléchargé un discours de ce personnage dogmatique qu’est Evita sur le site Web du Parti justicialiste. Il y a tout juste 30 ans, ça m’aurait sérieusement mis dans le pétrin", raconte le sympathique Argentin joint à Barcelone. Passé au delay, le discours d’Evita apparaît tout distendu, et c’est le chœur féminin d’un vieux tango argentin qui réplique, "ce qui donne à toute l’affaire une touche assez cynique", précise Federico Aubele, 30 ans.
Peu après, la maquette est envoyée. Qui tombe sous le charme de cette musique métissée qui unit folk latin, esprit lounge, touches jazzées, dub jamaïcain, traces de bossa-nova, fantômes flamencos? Les Anglais de Thievery Coporation. "Je les ai découverts il y a longtemps, au moment où ils ont fait paraître leur premier album en fait. Ils comptent parmi mes influences et ce fut un réel plaisir pour moi que de travailler avec ces gars-là! Je me suis rendu à leurs studios de Washington, on s’est habitués à travailler ensemble et là, les idées nous sont venues de façon très naturelle et décontractée."
Au bout de cette collaboration, un disque langoureux, suave et chaleureux: Gran Hotel Buenos Aires, lancé en février 2004, le premier de Federico, dont on a dit qu’il avait su capter l’essence de la ville. "À mes yeux, Buenos Aires, c’est ça, oui, certainement, mais on vous ment si on vous dit que ce n’est que ça, car la ville sait être brutale, absolument brutale, elle peut inspirer une grande mélancolie, comme dans ses tangos traditionnels. Buenos Aires est énorme, étourdissante, tout va très vite… Et parfois, on a l’impression qu’elle est entièrement tournée vers le passé, peu intéressée par l’avenir, c’est très argentin comme façon de voir les choses…"
Paradoxalement, sur Postales, un des beaux moments de l’album, Federico a écrit cette phrase que nous traduisons ici de l’espagnol au français: "Parfois j’en viens à croire que je ne vis que pour accumuler des souvenirs et pour avoir ensuite le plaisir de les raconter autour d’une table, entre amis, pendant que nous buvons un verre." À l’image de son modèle Astor Piazzolla, c’est un peu ce que fait Federico, exhumant les racines de sa culture d’origine, qu’il rappelle en intégrant à sa musique des éléments latins et aussi par le recours à l’espagnol. "C’est vrai, c’est certainement ce qui s’est passé, même si sur le coup ce n’était pas conscient, reconnaît-il. Et l’idée de faire un album dans une langue autre que ma langue maternelle ne m’a jamais traversé l’esprit."
Ravi et surpris de cette première invitation à se produire dans un festival de jazz, Federico Aubele en profitera pour prendre un risque, c’est-à-dire qu’il délaissera un temps la formation en sextette qu’on lui connaît pour se transformer en trio. "Je me suis dit: si on m’invite dans un tel festival, je dois me sentir bien libre d’aborder les chansons à partir d’un angle différent. C’est ainsi que l’idée du trio m’est venue. Le jazz est une musique dont la forme est libre, profitons-en!"
Le 4 juillet
Avec DJ Panko (d’Ojos de Brujo)
Au Club Soda
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