Luc Plamondon : Avec le temps
Musique

Luc Plamondon : Avec le temps

Il y a quelques mois, Luc Plamondon rencontrait un reporter du célèbre journal italien Il Corriere della Sera. Le journaliste essaya de lui faire avouer que Le Blues du businessman et de larges pans du personnage de Zéro Janvier de Starmania avaient été inspirés par le président et magnat des médias Sylvio Berlusconi. Plamondon mit quelques minutes à le convaincre que la chanson avait en fait 25 ans.

L’anecdote en dit long sur la pérennité d’une œuvre qui a fait la moitié du tour du monde et qui sera, selon toute vraisemblance, portée à l’écran d’ici quelques années. Ajoutez à cela des chiffres disproportionnés, un auteur coloré qui a mis au monde la moitié des chanteuses du Québec, les thèmes récurrents et toujours plus actuels de l’aliénation et l’hébétude des masses… Il y a de quoi s’arrêter sur cet anniversaire et poser d’autres questions sur l’état des lieux de cette entreprise culturelle qui n’a d’employé que lui-même. Luc Plamondon, Starmania, les Français, la lassitude, le succès, le tout ponctué de cynisme et de rires.

ORIGINES

Faisons, si vous le voulez bien, quelque peu la genèse du premier opéra rock. D’abord l’époque 1979. L’opéra rock, c’est le sommet de l’album-concept et du spectacle thématique. Une espèce d’art un peu baroque typique de la grandiloquence des années 70.

"J’ai vécu à San Francisco en 1969-70. J’avais vu Hair, Jesus-Christ Superstar, Ziggy Stardust. Depuis 1972 et surtout après son gros succès en France en 1973, j’étais devenu le parolier attitré de Diane Dufresne. Devenu, du moins, le premier Québécois à qui on accolait l’étiquette unique de parolier. Un de ses albums s’intitulait Opéra-cirque… déjà une sorte de mini-opéra. Ça dépassait le cadre de la chanson, certains titres duraient 7-8 minutes. Mais j’avais pas le temps de réfléchir à ce que je faisais, Diane Dufresne étant un opéra rock en personne!… jusqu’au coup de fil de Michel. Mes années 70 se sont donc clôturées avec cinq albums de Diane Dufresne et l’accouchement de Starmania en 79."

De l’autre côté de l’océan, quelqu’un avait les mêmes intentions que vous.

"Les coïncidences, c’est l’histoire de ma vie… J’ai rencontré Berger le 2 janvier 1976 à Paris. Plaqué par Véronique Sanson, il se vengeait en faisant des hits pour France Gall. Il avait sa chanteuse, j’avais la mienne. Il se faisait appeler Monsieur France Gall, moi on m’appelait le parolier de Diane Dufresne. On avait hâte d’avoir une autre étiquette, mais on voulait pas quitter personne."

Contact facile, collaboration naturelle?

"Au début, ça marchait pas. Après quelques jours, je suis rentré chez moi. J’ai écrit Maman, si tu me voyais et lui a écrit Si, maman, si. La coïncidence thématique était si troublante, il fallait se retrouver! J’ai mijoté une histoire, des sujets de chansons, il m’a donné une musique. J’ai écrit dessus Le monde est stone… Quand on fait une chanson comme ça, après, on peut plus reculer!… Ça demeure le titre qui m’a rapporté le plus de droits d’auteur dans ma vie.

Ensuite, ç’a été extrêmement brouillon. Il fallait se consacrer plus sérieusement à ça. On a passé deux mois dans une maison au Cap d’Antibes. Le Blues du businessman et Les Uns contre les autres sont sorties. On est revenus à Paris avec dix chansons sans imaginer que toute la francophonie et même les enfants chanteraient ça un jour. On savait même pas si ça allait intéresser quelqu’un… Chez Warner, ensuite, on a eu le plus gros budget jamais accordé en France pour faire un disque… sans même avoir fourni de maquette."

THÉMATIQUE

Starmania contient minimalement 12 standards qui sont autant de pièces détachables de l’œuvre. Du coup, comme avec Pinball Wizzard de Tommy, ou Space Oddity, on en a perdu le sens original, le fil de l’histoire, je crois…

"Je suis un fils de paysan illettré. Berger avait des origines hautement bourgeoises, une licence en philo. On s’est retrouvés, passé la trentaine, devant la perte de nos idéaux issus des années 60. La fin de la contre-culture et le monde nouveau. On a opposé le rêve du retour à la nature à l’oppression des grandes cités, la liberté à la standardisation croissante. Et tandis qu’en Europe, il existait deux chaînes en noir et blanc, on avait une prémonition de l’omniprésence future de la télévision."

Starmania, ça aurait quasiment pu s’intituler Star Académania

"Heu… oui mais justement, pour moi, c’était une critique de ça… Dans Starmania, il y a un show de télé animé par une fille prénommée Cristal qui est une sorte de jeune Julie Snyder qui fait des entrevues avec des célébrités et présente des débutants. La chaîne de télé planétaire se nomme Télé-Capitale et elle est la propriété d’un milliardaire qui veut être le président de l’Occident."

En fait, ça parle en long et en large d’aliénation…

"J’ai été un vrai hippie; j’avais fait le Maroc et l’Inde, traîné sur les routes, dormi sur les plages. Je crois que le contraste entre ça et les désillusions des années 70 a été puissant et m’a donné une vision très pessimiste du monde… vision qui s’est ensuite un peu… concrétisée…"

CASTING

En 78, aviez-vous le choix des interprètes?

"Oh non! L’inverse! Fallait en trouver qui acceptent! Il y a eu deux grands hasards: Fabienne Thibeault et Daniel Balavoine Mais nous avons essuyé des refus: j’ai proposé Le Blues du businessman à Michel Jonasz et Gerry Boulet, qui ont tous deux dit non. J’aurais aimé avoir Louise Forestier… Mais finalement, les Québécois ont "scoré" très fort."

Pour la scène, il y a eu ensuite d’innombrables moutures…

"Les interprètes originaux ont tenu l’affiche un mois… Maintenant, on en est à trois millions de spectateurs et environ 3000 représentations… (rires)"

Un couvoir… le tiers de la chanson populaire québécoise est passé par là…

"On le sait, ça a servi de tremplin ou de consécration à Marie Carmen, Marie Denise Pelletier, Isabelle Boulay, Martine St-Clair, Bruno Pelletier, Luce Dufault, Maurane et… Jean Leloup! (rires) Y’aura jamais de version définitive de ces chansons… surtout pas en France. Ce sont des chansons-cultes."

FÂCHÉ

Plamondon fera-t-il encore des chansons?

"J’ai plus de demandes que jamais en tout cas…

Je vais continuer à écrire mais je ne veux plus faire de commandes. Je n’aime plus comment ça se passe… Avant, on faisait une chanson sur commande ou pas, l’artiste la prenait et la chantait. Maintenant, il demande l’avis de 10 personnes, de son gérant à son beau-frère. Le pire, ce sont les intermédiaires des maisons de disques! Ce sont des gens totalement incultes qui se croient habilités à décider ce que doit chanter un artiste! Mais les chanteurs sont tellement terrifiés maintenant. Ils ne se font parler que de chiffres et de playlists. On standardise les chansons pour qu’elles marchent. On fabrique des chansons uniquement pour qu’elles tournent à la radio.

Pour moi, le plaisir, c’était de travailler ensemble autour d’un piano, pas de faxer des chansons!

Qu’un seul artiste vienne me raconter qu’il a sa carrière en main et prend ses propres décisions professionnelles… Foutaise! Y’a pas un artiste aujourd’hui qui a le contrôle de ce qu’il fait!!!"

Notre-Dame de Paris, au Théâtre Broadway du Centre Bell, du 5 au 23 juillet

Starmania, 25 ans, au Festival d’été de Québec sur la Scène Bell (Grand amphithéâtre des Plaines d’Abraham), le 7 juillet