Keren Ann : Le paradis des orages
Musique

Keren Ann : Le paradis des orages

Si Keren Ann donne parfois l’impression de se vautrer dans le mal-être, elle se défend bien de faire l’apologie du malheur. À l’inverse, si ses chansons évoquent la perte, la douleur, c’est plutôt pour célébrer la vie.

Au téléphone, comme sur disque, l’intrigante Keren Ann Zeidel chuchote.

Une voix fine qui, bien qu’elle renvoie à une longue tradition de chanteuses incertaines, recèle plutôt les caractéristiques d’un fil d’araignée. En apparence fragile, parfois presque invisible, mais qui se révèle d’une stupéfiante solidité. Puis, une musique au charme indéniable et des textes d’une beauté mystérieuse complètent le design minimaliste d’une toile dans laquelle l’âme se laisse prendre au piège.

Après une collaboration au retour en grâce de papy Salvador (Jardin d’hiver), deux albums solos (La Biographie de Luka Philipsen, La Disparition), puis un anglophone (Not Going Anywhere), ainsi que divers projets en marge (dont Lady and Bird), Keren Ann faisait récemment paraître Nolita, essai bilingue, principalement conçu à New York où la Parisienne a récemment élu domicile.

Si l’effort respire la modernité, si le décor a changé, le spleen qui caractérise l’esprit de ses chansons reste pourtant le même. À l’ombre de l’Opéra Garnier ou au sortir d’une ruelle du quartier new-yorkais North of Little Italy (d’où le titre de Nolita), dans une lignée plus classique ou flottant sur quelque nuage synthétique, les textes de Keren Ann paraissent toujours immergés dans la même turpitude. "On mélange trop la tristesse et la mélancolie, précise-t-elle cependant. La tristesse, c’est quelque chose de naturel, c’est un résultat, c’est provoqué [par un événement]. Dans mon cas, il faut plutôt parler de mélancolie. Ce n’est pas quelque chose de triste, c’est même très réconfortant, familier. C’est un son, une odeur, une ambiance, un paysage qui me touchent. Et [quand ces choses nous atteignent], cela veut dire qu’on est en vie."

"Je ne suis pas malheureuse, ajoute-t-elle, je suis entourée d’amour, et je vis à fond, comme s’il n’y avait jamais de lendemain, les gens autour de moi vous le diront. Aussi, je ne sens aucun regret ou détachement par rapport à la vie. Par contre, il y a bien [chez moi] une conscience des choses qui heurtent. Mais encore là, souffrir, c’est être vivant. Je suis une grande émotive, cela se sent dans mes chansons."

Des chansons, des musiques qui évoquent des plaies ouvertes pour mieux les suturer, de lancinantes ballades consignées sur des disques que Keren Ann conçoit en laissant le destin faire son travail. Qu’il s’agisse de rencontres qui donnent le ton, ou d’événements qui modifient le cours des événements, comme pour la production de Nolita où une blessure à la main a forcé la musicienne à laisser un peu de côté sa guitare pour adopter d’autres médiums, invoquant de nouvelles ambiances pour convoyer une poésie où la lumière perce péniblement un ciel d’orage.

"Chaque acte manqué, ou pas, peut teinter la chose sur laquelle on travaille à ce moment-là, expose-t-elle. C’est pour cela que j’ai arrêté depuis longtemps déjà d’aller dans une direction quelconque. Je fais de la musique, et petit à petit, même si j’ai quelque chose de très précis dans la tête au départ, je me laisse porter par le travail. Avoir le contrôle, ce n’est pas toujours ce que l’on veut; je préfère encore quand les chansons viennent me surprendre", conclut-elle, exhalant chaque mot comme un soupir.

Le 14 juillet à 23 h
À l’Impérial
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