Marie-Jo Thério : L'enchanteuse
Musique

Marie-Jo Thério : L’enchanteuse

Marie-Jo Thério, femme généreuse, enthousiaste et d’une disponibilité rare, revient avec Les Matins habitables, un opus enchanteur fabriqué en France. Discussion échevelée et sinueuse avec une âme nomade.

Marie-Jo Thério rayonne. Ses nouvelles chansons sont belles et sereines, éclatantes comme le vert de ses yeux. Tout le soleil du Mile-End fait de l’œil à cette Vénus, se rappelant les années où elle y habitait. Maintenant, passion amoureuse oblige, elle s’est installée en France où elle a enregistré Les Matins habitables au vénérable studio La Frette d’Olivier Bloch-Lainé: "Je me suis demandé ce que j’avais à dire là-bas, moi, petite crevette acadienne qui habite à Paris, comment j’allais organiser ça dans ma tête, trouver une compagnie de disques afin de reprendre mes souliers de chanteuse. Je connaissais Olivier qui avait travaillé avec Zachary Richard et Bïa." Chose certaine, à voir son air épanoui sur la pochette du disque, elle a rapidement retrouvé ses marques: "On est serein selon notre capacité à l’être, et en avançant dans la vie, j’espère qu’on le devient de plus en plus. Je crois que c’est un album d’une grande errance, mais aussi un enracinement du cœur. Tout à coup, le fait d’être placé quelque part dans l’espace, de l’autre côté de l’océan, et d’en parler, ça m’a paru très libérateur et très juste par rapport à ce que j’avais besoin de raconter."

Pour Les Matins habitables, Thério a décidé de réenregistrer Café Robinson, Moncton et Évangéline, fleuron du répertoire acadien écrit par Michel Conte. Des chansons qu’elle aime et qu’elle voulait partager avec le public français afin de "lui donner certaines clés, pour lui dire qui j’étais". Le ton enjoué s’obscurcit un peu: "C’est drôle, parce qu’on lit les journalistes nous aussi… Quelqu’un a écrit que j’avais décidé de jouer la carte acadienne. C’est dommage que ça ait été perçu comme ça parce qu’en fait, c’est venu absolument spontanément, et dans le fond, ils ont tous été acadiens, mes albums…" Alors, pourquoi Évangéline à ce moment-ci? "Ça faisait longtemps qu’on me demandait de l’inclure sur un album, c’est une chanson de facture très classique, un petit film en soi. Depuis dix ans, je me retrouve avec mes amis musiciens dans un immense exercice de liberté, et en même temps je suis connectée à cette chanson-là, je ne peux pas m’en défaire. Quand on a fait La Maline, elle était toujours dans le chemin, mais elle ne cohabitait pas avec le reste de l’album. Finalement, pour Les Matins habitables, j’ai eu envie de la chanter." Simplement. Ne cherchez pas de calcul, de machination, Marie-Jo est une instinctive, une chanteuse libre qui ne s’en laisse pas imposer, maîtresse à bord, créatrice de son univers: "Que ce soit ici, en Acadie ou en France, il y a toujours des gens qui essaient de faire les choses à notre place. Il faut faire ce qu’on a envie de faire, sans devenir pour autant le plus grand misanthrope de la planète! Je ne suis pas forgée pour la manipulation, je veux juste conserver ce qui est important pour moi: une vie. Pour Les Matins habitables, j’ai voulu faire les choses toute seule."

La maison de disques Naïve l’a approchée, après l’avoir vue en spectacle au Sentier des Halles à Paris: "J’ai eu envie de défendre un univers qui est mien, et non d’appeler Jean-Jacques Goldman ou Jean-Louis Murat pour faire un duo!" Thério a tout pris en main, jusqu’au mixage, malgré une quasi-surdité de l’oreille gauche. Elle jubilait à la coréalisation avec Bloch-Lainé, un réalisateur-compositeur mais également chanteur le temps d’un seul et unique 33 tours, qu’elle adore. Affection profonde également ressentie envers le poète acadien Gérald Leblanc, qui signe le texte des Matins habitables: "Je l’ai découvert, comme beaucoup de gens, quand je suis allée étudier la littérature à l’Université de Moncton. Il était sur la liste des lectures obligatoires, par exemple avec Comme un otage du quotidien. Très marqué par Jack Kerouac. Il voulait que Moncton devienne une Acadie urbaine, nommer une ville." La chanteuse s’est liée d’amitié avec le poète, et l’a invité à Paris. Une chanson est née. Un formidable album aussi.

Voix somptueuse, plume gracieuse et mélodies imparables; à l’instar de Joni Mitchell ou d’Anne Sylvestre, Marie-Jo Thério a su nommer la ville au fond d’elle-même dans des chansons-émeraudes, des pierres précieuses. Qu’elles puissent voyager encore longtemps.

Marie-Jo Thério
Les Matins habitables
(GSI)

Le 21 juillet
Au Théâtre de Verdure (parc Lafontaine)
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