Yann Tiersen : Rock & cool
Yann Tiersen enchaîne les projets à un rythme fou, mais aime bien prendre le temps de les concevoir avec soin. Son nouvel album, Les Retrouvailles, s’ouvre un peu plus vers ses racines rock.
"Le rock, c’est ma culture, c’est ce qui m’a donné envie de faire de la musique. J’ai passé toute mon adolescence à jouer de la guitare dans des groupes", dit Yann Tiersen, un sourire dans la voix. Pourtant, l’homme au bout du fil est peu bavard et légèrement distant. Ses réponses, il faut des forceps pour les extirper: "On a commencé les concerts pour Les Retrouvailles et c’est beaucoup plus rock, je pense qu’on en fera un live, les morceaux prennent une autre dimension." Le public québécois devrait pouvoir constater à l’automne les nouvelles couleurs musicales que Tiersen prend sur scène, puisqu’il est fortement question qu’il vienne jouer ici. Lorsque l’on sait que Tiersen a récemment eu le béguin pour The Arcade Fire, on se prend à rêver d’une rencontre entre le groupe montréalais et le musicien breton, mais ce dernier freine nos élans: "Vous savez, je peux écouter de la musique sans avoir forcément envie de travailler avec les gens!"
Écouter les disques de Tiersen, c’est s’émouvoir de l’architecture musicale de ses morceaux, la mélancolie qu’il y murmure, mais c’est également se surprendre des nombreux invités venus chanter pour lui. "J’aime bien travailler avec des gens que je rencontre, avec qui il se passe quelque chose." L’an dernier, il faisait paraître avec la folkeuse américaine Shannon Wright un CD fait à quatre mains: "J’aimais beaucoup son avant-dernier album, et lorsque j’en ai parlé autour de moi, j’ai appris qu’elle écoutait vachement ma musique aussi. On a décidé de se voir à Paris, on a mangé ensemble et on s’est dit que ce serait pas mal de faire de la musique ensemble. On s’est donc bloqué une période d’une semaine juste pour voir ce que ça allait donner. On était très contents du résultat et du coup on a décidé de remettre ça et de faire le disque."
Dans toute l’œuvre de Tiersen, on l’entend très peu chanter. Complexe? Timidité? Il rectifie: "J’adore chanter, mais je réserve ça à la scène, en général. Parce que sur les albums, j’aime bien ne pas me limiter à ma voix. Sur Les Retrouvailles, pour tout ce qui était musical, j’ai travaillé tout seul, alors j’invite des chanteurs à venir partager des choses, pour qu’il y ait une ouverture." La liste des invités spéciaux chez Tiersen donne le vertige: Dominique A, Françoiz Breut, The Married Monk (groupe de rock français, comme son nom l’indique), The Divine Comedy, Noir Désir, Têtes Raides…
La muse de Gainsbourg fut même conviée: "C’est un morceau (Plus d’hiver) que j’ai écrit en fin d’album. Et le soir où je l’ai terminé, j’ai reçu un coup de fil: une invitation de Jane Birkin à participer au DVD qu’elle était en train de préparer. Et du coup, ça a fait un déclic, c’est elle qui devait chanter cette chanson." Et le trio formé de lui, Miossec et Dominique A? "Déjà, on se connaît bien tous les trois. J’avais envie de faire un trio de garçons pour prendre le contre-pied des duos langoureux qu’on entend partout, et qu’on l’écrive à trois aussi parce qu’on se complète assez bien." On ne s’étonnera pas, lorsque l’on connaît le rock symphonique des Tindersticks, de la présence de son chanteur, Stuart Staples, sur A Secret Place: "On s’est croisé plusieurs fois dans des festivals, on s’apprécie mutuellement; j’adore les Tindersticks, j’ai fait un piano sur l’album solo de Stuart qui va sortir bientôt et en échange, il a chanté sur le mien." Et pour compléter la richesse de son œuvre, Tiersen a invité Elizabeth Fraser des Cocteau Twins: "C’est un groupe que j’écoutais beaucoup dans les années 80. J’ai toujours été admiratif de cette femme, de ce qu’elle arrivait à faire avec sa voix. J’ai voulu prendre le temps de travailler avec elle en profondeur, sur un disque." Le compositeur sait recevoir, il a donné la possibilité à Fraser, ainsi qu’à Staples, d’écrire ce qu’ils voulaient sur la musique offerte.
Un malentendu persiste autour de Yann Tiersen. L’étiquette Amélie Poulain pèse lourd. "Même si j’adore le cinéma, je ne me considère pas comme un compositeur de musiques de films. Je n’ai fait qu’une seule véritable b.o. (Goodbye Lenin!) et je ne cherche pas à en faire d’autres. Amélie Poulain était une compilation de vieux morceaux déjà enregistrés auxquels j’ai ajouté quelques titres. Mais avec une bande originale, le problème, c’est qu’il y a une obligation de résultat, un laps de temps déterminé et qui est court, en général. Le film a un planning, et moi j’aime bien être libre de prendre le temps qu’il faut." Rock & cool.
Yann Tiersen
Les Retrouvailles
(EMI)