Camille : Un fil pas comme les autres
Musique

Camille : Un fil pas comme les autres

Camille, révélation française de l’année, vient tendre aux FrancoFolies de Montréal Le Fil que tout le monde s’arrache. Rencontre avec une jeune artiste lucide et décidée, qui refuse les étiquettes et ne cesse de nous entraîner dans son gracieux sillage.

Ce n’est pas simplement parce que l’album de Camille s’appelle Le Fil que nous y sommes complètement attachés depuis de longues semaines. On a beau le passer et le repasser en boucle, du début à la fin, de la fin au début, puis se concentrer sur une chanson, et puis sur une autre, on a toujours ce sentiment rare, grisant et précieux: celui d’explorer une terre vierge. Qu’il s’agisse du single Ta douleur, plutôt catchy, ou de la diaphane comptine Pour que l’amour me quitte, on n’en finit pas de courir dans tous les sens après Camille, de chercher à la découvrir, d’interroger ce monde à part. Écoulé à plus de 150 000 exemplaires en France, Le Fil est sans conteste l’une des sensations musicales de l’année en cours. Surtout à l’heure où les maisons de disques ne jurent plus que par "la nouvelle scène française", et cherchent partout l’artiste à mèche qui chantera le mieux la vie de son arrondissement. Camille, elle, a plutôt choisi de débarquer avec une bobine complètement inédite, et une énorme envie d’imposer son univers, rien que son univers, tout son univers. "Le fait que Le Fil marche, ça veut dire ce que ça veut dire: qu’il ne faut pas hésiter à exprimer quelque chose de personnel, voire d’un peu barré. Le tout, c’est de l’imposer avec clarté, avec fermeté", explique la jeune femme de 26 ans, assise dans un café parisien situé sur les Grands Boulevards.

UNE ÉQUIPE HÉTÉROGÈNE, UN DISQUE COHÉRENT

Pour l’enregistrement du Fil, Camille a fait appel au départ à une équipe assez hétérogène à première vue, menée par le producteur anglais Matthew Kerr dit MajiKer, et au sein de laquelle on retrouve des personnalités aussi différentes que Sly du Saïan Supa Crew, le guitariste volant Sébastien Martel (croisé chez Lhasa ou Bumcello), ou encore le bassiste Martin Gamet. "Tous m’ont beaucoup aidée à mettre le disque au point, mais c’est avant tout moi qui suis allée chercher ce que je voulais chez eux. Faire un disque, c’est avoir les choses en main, savoir ce que l’on veut prendre et donner: c’est celui qui est à la tête de la troupe qui doit savoir gérer cet équilibre. Sur Le Fil, c’est moi qui étais en charge de ça, et quand j’écoute le disque aujourd’hui, je trouve que c’est une photo plutôt réussie du temps que nous avons passé ensemble", explique Camille, dévoilant une mini-poigne qui nous fait comprendre encore mieux que cette fille sait décidément où elle va, et on aime beaucoup ça. Dans les différents articles sur Le Fil, on a beaucoup parlé du "bourdon", cette note continue à laquelle Camille a accroché chacun des titres de son disque. La prouesse technique est évidente, et l’histoire est toujours bonne à raconter.

NE PAS DÉVOILER LES COUTURES

Pourtant, ce qui fascine surtout, et ce qui inspire le respect dans la musique de Camille, c’est cette capacité à écrire des chansons dont on ne parvient pas à déceler le pedigree. Les morceaux d’héritages, Camille les déchire, les découpe puis les rapièce, sans que l’on aperçoive les coutures. Soul, folk, pop et chanson s’enchevêtrent et s’entremêlent ainsi sans que les hommages soient visibles, pour composer ce que Camille appelle une "illusion sonore". "Je ne suis pas du tout obsessionnelle avec la musique. J’aime bien les choses fluides: j’aime qu’on se rencontre, qu’on s’éloigne, qu’on se revoie, qu’on s’éloigne. J’essaie d’intégrer des choses dans ma musique tout en m’en émancipant par la même occasion", dit-elle. Le Fil est ainsi une voie lumineuse et passionnante, qui fait penser à celles ouvertes ces dernières années par Cat Power et Fiona Apple (à qui Camille fait un beau clin d’œil sur Pâle Septembre), ou encore plus récemment par les deux sœurs de CocoRosie. Si Camille reconnaît des accointances avec les artistes citées précédemment, elle préfère pourtant avancer d’autres modèles, toujours dans le désordre, et beaucoup parce que les journalistes, malheureusement, l’y obligent: Aretha Franklin, Claude Nougaro, Michael Jackson, Bobby Lapointe, Ray Charles: voilà ceux qui, de près ou de loin, constituent les fondations de la maison Camille. Sans pour autant en dicter son aménagement.

SE DÉPARTIR DES HÉRITAGES

"J’en ai marre de cette idolâtrie pop qui nous empoisonne depuis les années 70. Sans cesse, il faut remercier, dire qu’on a tout appris grâce à truc, ou à machin. Mon approche de la musique est surtout intuitive, et je le revendique." Camille a beaucoup d’aplomb dans ses réponses, peut-être parce qu’à 26 ans, elle est tout sauf une débutante. En 2002, elle a sorti son premier album Le Sac des filles, certes moins aventureux que Le Fil, mais dont elle n’a absolument pas à rougir aujourd’hui (ceux qui ont bonne mémoire se souviennent peut-être de son chouette concert en extérieur aux Francos de 2003). En 2004, on l’a souvent croisée chez Murat, et on connaît pire adresse. Sur l’envoûtant Lilith d’abord, où elle pousse un sacré cri primal sur la chanson-titre; ou encore sur le DVD Parfum d’acacia au jardin, où elle assure cette fois des chœurs fascinants de justesse qui, avouons-le, ont parfois tendance à voler un peu la vedette à l’Auvergnat. La même année, Camille a aussi travaillé pour le duo Nouvelle Vague; elle interprète quatre titres sur leur chouette album de reprises – dont le Guns of Brixton des Clash, qu’elle se réapproprie avec une grâce inouïe. Arrivée avec un bon petit paquet de galons, Camille a pourtant réussi avec Le Fil à se départir de cet héritage: elle a remis ses compteurs à zéro, pour mener à bien ce projet qu’elle voulait à la fois libre et cadré. Si Le Fil est avant tout un projet vocal sous-tendu par une note présente en permanence, le disque est surtout l’occasion d’une impressionnante expérimentation. "Même les artistes les plus instinctifs travaillent avec leurs limites. Mais ce sont justement ces gens-là, ceux qui travaillent avec leurs limites, qui donnent l’impression de ne pas en avoir. Les fortes personnalités sont souvent des gens qui connaissent leurs limites, qui les acceptent et qui, en même temps, ont des désirs très forts", note Camille. Sur son disque, la chanteuse a voulu que la sensualité s’exprime, que la dimension physique soit palpable: elle a ainsi mis au point un univers des plus organiques, dont la marche parvient à être très différente à chaque écoute. Des voix, des bruits, des cris, des beatbox, des soupirs: Le Fil est un disque qui vit et qui respire; Camille l’a voulu ainsi. "La chanson, ce n’est pas un art mineur, dans le sens où ça brasse tout: des ambiances, des sons, des mots, des musiques. Tout peut être dans une chanson. C’est assez total, finalement." Cette expérience totale, Camille souhaite aussi la prolonger sur scène. Accompagnée de ceux qui ont fait son disque, elle promène son Fil depuis plusieurs mois sur les scènes de France, de Navarre et du reste du monde – elle a récemment joué en Palestine et à Berlin. "Je voulais que mon disque soit sensuellement perceptible, et le fait de le jouer devant autant de publics différents est pour moi un grand bonheur, même si je n’arrive pas à le décrire exactement. Mon équipe dit pourtant que ce qui se passe est magique." Une magie à venir découvrir d’urgence, lors du passage de Camille aux FrancoFolies de Montréal, où Le Fil nouera certainement de longues et belles amitiés.

Le 2 août
Avec Dobacaracol
Au Spectrum
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