Amadou et Mariam : L'amour est aveugle
Musique

Amadou et Mariam : L’amour est aveugle

Un beau dimanche à Bamako, Amadou a entendu le chant grisant de Mariam à l’Institut des jeunes aveugles. Vingt ans de vie commune, trois enfants, six albums, des milliers de concerts et un trophée Victoire de la musique plus tard, voici où ils en sont.

C’était il y a cinq ou six ans. J’étais en charge de l’émission Rythmes du monde à Musimax. L’idée était de présenter bout à bout une vingtaine de clips en provenance d’autant de pays exotiques et lointains. Le réalisateur Rafaël Ouellette, responsable de l’assemblage, en avait vu d’autres. Fan de Kubrick pas bavard pour deux sous, il avait l’air bien dans sa bulle jusqu’au jour où j’ai apporté Je pense à toi par Amadou et Mariam, le couple aveugle du Mali. Une petite mélopée d’amour, mélancolique à souhait mais qui vous prend aux tripes comme un blues jamais entendu auparavant. Raf ne tenait plus en place! Il a voulu absolument aller voir le show au Medley et en est revenu conquis. Depuis ce jour, je savais que la musique du duo magique aurait un impact réel ici. Et c’était bien avant leur collaboration avec ce diable de Manu Chao…

"Dans la musique malienne, il y a le mandingue, le bambara, le wassoulou, m’explique gentiment Amadou au téléphone depuis Paris. De multiples influences en fait, qui proviennent de traditions et d’ethnies différentes. Mais dans nos chansons, c’est l’aspect de l’harmonie pentatonique et aussi les textes qui dominent. Ce sont probablement les différences les plus marquantes pour un auditeur occidental."

Amadou et Mariam ne sont pas aveugles de naissance. Elle l’est devenue à cinq ans, à cause d’une rougeole mal soignée (ça vous rappelle les pires scènes du film Ray) et lui adolescent, des effets malheureux d’une cataracte congénitale. Ils se sont donc rencontrés à l’Institut des jeunes aveugles, un beau dimanche à Bamako. Elle chantait, et lui, le guitariste, fut complètement conquis par sa voix. Aujourd’hui, le couple compte 20 ans de vie commune, trois enfants, six albums, des milliers de concerts et un trophée Victoire de la musique qui leur a valu un plébiscite en France plus tôt cette année. Une réussite qui a fait d’eux tout un symbole. Surtout sur un continent où les handicapés sont souvent condamnés à la mendicité, comme des rejets de sociétés sous-développées.

"On a chanté pour que les gens comprennent que le handicap est un fait, mais qu’il ne doit surtout pas nous ralentir dans notre évolution. Il faut faire avec. Il faut trouver les moyens, les astuces. Nous, on se démerde. Quand on ne voit pas, les choses ne sont pas à notre image et un aveugle a besoin de quelqu’un pour le guider. Nous, on a réussi surtout grâce à nos familles. Le père de Mariam est un des premiers instituteurs maliens et le mien était fonctionnaire dans l’armée."

Une sacrée chance en tout cas que nos amis aient eu autant de talent. Et qu’ils se soient accrochés à la musique avec cette ferveur qui déplace les montagnes. Amadou a quitté Les Ambassadeurs du Motel Bamako où il jouait dans l’ombre comme un vrai bluesman alors qu’arrivait l’albinos Salif Keita.

"Petit, j’avais commencé par le djembé, explique-t-il. Ensuite il y a eu mon oncle maternel qui avait une guitare à la maison. À dix ans, j’ai commencé à tâter les cordes en même temps que la flûte. J’ai beaucoup écouté John Lee Hooker et aussi Hendrix. On recevait des 33 tours et des 45 tours. Tout le monde n’avait pas de boîte à musique mais on se retrouvait chez ceux qui étaient équipés pour les écouter. En Afrique, on est beaucoup ensemble."

Arrive le señor Chao. Mordu de chanson malienne, dont il s’inspire pour composer, il avait hâte de rencontrer Monsieur Bagayogo et Madame Doumbia. Leurs gérants respectifs s’en étaient parlé…

"On s’est donné rendez-vous en 2003, raconte Amadou, au mois d’octobre précisément. C’était au studio Davout, à Paris. On l’attendait, il est arrivé. On pensait qu’il était compliqué mais on l’a trouvé très simple. Tout s’est passé naturellement. On avait des morceaux comme La Fête au village, Dimanche à Bamako et plusieurs autres. On s’est mis tout de suite au travail. En fait, on a d’abord travaillé sur La Réalité. La chanson était en bambara, je l’ai traduite en français. On a gardé cette version."

Le lutin de la Mano va injecter dans la pop du couple aveugle un peu de technologie, du bidouillage, des images, du beat et de la folie. L’album devient une espèce de joyeux patchwork tout en conservant un aspect plus engagé. On connaît la suite… Ou plutôt, on va la voir aux Francos comme la sensation de l’été. Surtout que l’Ivoirien Tiken Jah Fakoli, qui chante au Spectrum la veille, pourrait bien les rejoindre sur scène pour faire Politique Amagni. Ce serait trop beau!

"La Réalité, ajoute Amadou, c’est une chanson positive qui dit que la vie est dure mais qu’il ne faut pas se laisser abattre." Message reçu, frère!

Le 4 août
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