Paul Ahmarani : Le bonheur est une arme brûlante
Paul Ahmarani, qu’on connaissait comme comédien, enlève son masque sur Portrait vivant, un album de rock fébrile aux mélodies enlevantes. Tête-à-tête avec un "mec à l’endroit" qui revient de loin.
Quand les gens du Théâtre du Nouveau Monde ont abordé Paul Ahmarani pour lui proposer un rôle dans La Tempête de Shakespeare, il y a de ça deux ans, il fut question de choisir entre Ariel et Caliban, serviteurs de Prospero, l’un mauvais, l’autre bon. "J’ai répondu que je voulais jouer les deux", lance le comédien désormais devenu chanteur à quelques jours du lancement de Portrait vivant, un premier disque nécessaire qui est aussi une traversée du côté de la noirceur, puis l’histoire d’un retour à la lumière et à la vie.
Un disque nécessaire, osons-nous écrire, puisqu’à travers celui-ci, Paul Ahmarani est allé se colleter à des thèmes exigeants et difficiles tels que la vie et la mort, la recherche d’intensité, d’édens pouvant s’avérer trompeurs, le désir de (re)devenir humain après avoir été Icare et s’être cramé les ailes au soleil, mais un Icare qui se serait relevé ensuite, ressuscité, pour apprendre à marcher sur terre au lieu de vouloir s’exploser dans le ciel.
En somme, une histoire de rédemption: "À un moment donné, je suis arrivé dans un cul-de-sac. Je ne pouvais plus continuer à vivre comme je le faisais, j’étais en train de tout perdre et de me perdre de vue moi-même, complètement. Avant même d’avoir enregistré mon premier album, je me préparais une sortie à la Jimi Hendrix, c’est pas ben cool, ça… Je n’étais plus moi, rien ne m’intéressait plus. Alors je suis allé me mettre à l’ombre pendant quelques mois. […] Quand je relis le texte de Portrait navrant, j’ai la chair de poule, car je l’ai écrit pendant que j’étais dans cet état-là. J’étais complètement lucide, je disais: "Je m’en vais mourir et je m’en câlisse." Je suis content de m’être retrouvé; depuis que je suis revenu, c’est comme une lune de miel avec la vie."
En guise de premier contact, plusieurs se seront laissé charmer par la Jean Leloup-esque La Migration, récit d’un amour improbable mais en même temps possible entre un chat et un oiseau, qui n’annonce pourtant pas la véritable migration dont il est question sur ce premier effort: celle de l’ombre à la vie. Et cela se traduit par un audacieux revirement: au Portrait navrant glissé en ouverture de l’album (un talk over très incarné doublé d’un chuchotement au bord de l’essoufflement et de la panique, texte soutenu par une efficace ligne de basse), Ahmarani répond rime pour rime par un Portrait vivant qui tue: "Car je crois avoir mûri, et l’appel de la mort / Sonne comme un air démodé / Ses dissonances me rappellent un côté noir de moi / Et je n’veux plus jamais vivre comme ça / Je me tourne alors vers ma tendre amie / Et bafouille avec elle la mélodie même de la vie […] Les saines mélodies lentement commencent / À m’émouvoir et à me faire désirer l’existence / Même quand ça brûle en dedans".
"J’ai voulu répondre au premier portrait par quelque chose de positif… Et des tounes de joie, dans le rock, y en a pas des tonnes, observe celui qu’on a pu voir au grand écran dans La Moitié gauche du frigo et La Vie avec mon père, entre autres. J’écris au premier degré. Quand je parle de désespoir, je le fais en braillant et quand je parle de joie, je le fais en riant haut et fort. J’ai pas de pudeur."
À part Jean Leloup – une filiation quasi incontournable pour quiconque veut se fiancer au rock au Québec -, Paul Ahmarani, entouré des Nouveaux Mariés (Émilie Laforest et Joseph Marchand, amis du chanteur et musiciens d’expérience) avec qui il a composé une bonne partie des musiques, connaît ses classiques. Chez lui, à côté des Arcade Fire (dont on décèle l’influence dans le crescendo tout en harmonies de voix et de clochettes cristallines sur La Déclaration) et de Monsieur Mono, s’empilent les disques des Beatles, des Clash, des Sex Pistols, des Stones, du Velvet, des Strokes, de Nirvana et de Television. Les références viennent sous la forme de clins d’œil et pimentent un son essentiellement rock qui présente quelques accents garage et un petit fond d’irrévérence punk. Surlignons aussi au passage la justesse d’arrangements judicieux moulés aux textes avec une grande sensibilité. Les cordes sur À toi, un des plus beaux moments de l’album, vous pincent le cœur sans plus le relâcher.
Et sur cette chanson, notre préférée pour tout dire, Ahmarani sait dire (bellement) des choses que les filles ont besoin d’entendre après la claque cynique assenée par le très acide Horloge biologique. Car le chanteur, à travers ses textes, parvient à réunir deux pôles que d’aucuns croyaient inconciliables: virilité et vulnérabilité. "Un de ces soirs, je viendrai te surprendre / Je te jure, je serai moi… Je serai dur, je serai tendre / […] / Nos mains vivent pour nous nos destinées… tu soupires: je m’élance / Pour venir, mourir et ressusciter de par ton ventre". "Ce dont je suis fier quand je la relis, c’est d’avoir réussi à rendre le côté viril/sexuel, mais en même temps c’est full d’amour, c’te toune-là…"
Cet après-midi, en plein parc Laurier, on regarde Paul Ahmarani assis à une table de pique-nique à boire des espressos carabinés, entouré d’écureuils fébriles, ce gars revenu de loin, ce comédien sans son masque, cet "étrange héros", ce "drôle de mec, mais un mec à l’endroit" qui fredonne Happiness Is a Warm Gun des Beatles, et on ne peut se dire qu’une chose: voici un humain bien vivant.
Paul Ahmarani et les Nouveaux Mariés
Portrait vivant
Audiogram
En magasin le 13 septembre