Mickey 3D : Rire aux larmes
Musique

Mickey 3D : Rire aux larmes

Le groupe rock français Mickey 3D lançait cet été Matador, un quatrième album qui passe de la pop cinglante aux ballades douces-amères, échappant ici et là quelques chansons corrosives dont il a le secret depuis Mistigri Torture. Rencontre avec Mickael Furnon, leader du trio, qui nous montre comment râler avec style. Sans rire.

Depuis son village paisible qui ne fait jamais les manchettes et dont on n’entend guère parler de ce côté-ci du globe, Écotay, à quelques kilomètres de Saint-Étienne, le groupe rock français Mickey 3D fabrique des petites bombes de chansons cinglantes ou lancinantes prêtes à se dégoupiller sous nos yeux, ou alors des pansements pour soigner une blessure initiale apparemment inguérissable née d’un puissant choc entre désillusion et nostalgie. "Je ne vois l’avenir que dans mes souvenirs", râle Mickael Furnon, auteur-compositeur, chanteur et guitariste, sur Le Sixième Sens, deuxième chanson du plus récent disque.

Depuis Mistigri Torture en 1998 jusqu’à Matador paru il y a quelques mois, sans oublier son meilleur moment, Tu vas pas mourir de rire (2002), le trio construit un univers en trois dimensions dans lequel la peur sape tout le reste, où la mélancolie est "ultra-violente", où se fendre la pêche de rire n’est plus une possibilité si ce n’est dans le souvenir d’une enfance révolue, où l’on ne rit plus que du bout des dents, avant de les serrer, où l’avenir s’envisage en s’appréhendant, où l’on s’embrasse désormais par-dessus son masque à gaz, où les politiciens enfilent leur veston à l’envers, d’affolement, où l’hypersensibilité d’un chanteur à la plume bien trempée, jamais ampoulée, se révèle via un songwriting truffé d’images saisissantes mais livré dans une langue simple, directe, diablement efficace.

Avis à ceux qui croyaient que la langue française n’était pas taillée pour le rock, Mickey 3D vient nous démontrer le contraire et s’inscrit dans une famille qu’on voit s’élargir, à notre grand bonheur, et qui réunit en une constellation d’artistes à géométrie expansive les Miossec, Noir Désir, AS Dragon, Dionysos, Dominique A, Louise Attaque et quelques autres qu’on surveille de près. Rencontre avec la principale dimension du groupe, Mickael Furnon.

Il y a cette idée du chanteur engagé qui vous colle à la peau, même si vos textes ne portent pas intégralement sur des causes politiques, sociales ou écologiques… Est-ce que ça finit par vous ennuyer ou c’est un chapeau que vous aimez porter?

"Moi, je me sens pas trop comme un chanteur engagé, je me vois plutôt comme un chanteur-râleur, comme un citoyen libre qui exprime ses idées et les choses qu’il n’aime pas… Sauf que j’ai la chance de pouvoir le faire à travers la musique."

À l’écoute de la corrosive Il faut toujours viser la tête, je me suis demandé si vous faisiez partie des artistes pour qui il y a un avant le 11 septembre et un après, et qui n’arrivent plus à écrire de la même façon depuis cette date.

"Pas spécialement, mais je pense que c’est un grand moment de l’histoire de la planète et de la civilisation moderne, car c’était la première fois que les Américains se rendaient compte qu’ils n’étaient pas invincibles. Pour moi, c’est un peu le début du déclin de l’empire américain et je pense que c’est une date qui restera dans l’histoire."

En vous écoutant, on se dit que, contrairement à la croyance générale, ce n’est pas vrai que le français est une langue qui n’est pas taillée pour le rock. Quand vous avez commencé à écrire, est-ce que vous trouviez ça ardu au tout début?

"Au départ, pour moi, le rock, ça se faisait en anglais. Pour moi, c’était ringard de vouloir faire ça en français, j’avais l’impression que j’étais Roch Voisine et j’aimais pas du tout ça (rires). Je pense qu’il faut assimiler beaucoup de choses pour y arriver. Vers la trentaine, je me suis mis à écouter des chanteurs français que j’avais envie de découvrir, le répertoire de Barbara, de Léo Ferré, de Brassens, de Brel, de Nougaro, d’Aznavour. Et c’est après avoir écouté ces artistes-là pendant deux ou trois ans que le français m’est venu instinctivement. Et là, je ne me sentais plus ridicule. Alors je crois qu’il faut avoir une certaine culture pour pouvoir s’y sentir bien."

Avez-vous l’impression que c’est une zone qui a été beaucoup défrichée, le rock français, au cours des dernières années tout particulièrement?

"Oui. Il y a des groupes qui ont fait du bien et qui ont décomplexé le public, Louise Attaque par exemple. Avant, les groupes français servaient à réchauffer les salles pour les groupes américains. On était vus comme ringards dès qu’on faisait du rock en français. Alors que maintenant, le public va voir plus d’artistes français que d’artistes étrangers."

Donc, au départ, vous avez écouté beaucoup de rock anglo-saxon… Quels sont les groupes qui vous ont le plus marqué?

"Au tout début, dans les années 80, quand j’avais 17 ans, c’était la pop anglaise: The Cure, Depeche Mode, Joy Division… ces groupes-là. Après, dans les années 90, Sonic Youth, Nirvana, etc. Ensuite, je me suis mis à écouter de la chanson française. En somme, c’est un mélange de pop anglaise des années 80, de rock américain des années 90 et de chanson française."

Quand vous chantez La France a peur (sur Mistigri Torture), est-ce que cette chanson résonne différemment dans vos oreilles? Est-ce que la France a peur des mêmes choses aujourd’hui qu’au moment où vous avez fait paraître cet album, en 1998?

"C’est une chanson qui était d’actualité et qui le restera aussi peut-être dans le futur. Nous avons écrit ça en réaction à la façon dont les médias traitaient d’actualité à la télévision. On aimait pas trop comment c’était fait et la chose s’est confirmée cinq ans après, lors du premier tour des élections en France: on a fait peur aux gens en leur disant qu’ils étaient pas en sécurité et je pense que dans le futur, ce sera de pire en pire. C’est pas tant que la France a peur, ce sont les médias qui essaient d’effrayer le peuple pour le faire voter dans un sens."

Et d’ailleurs, la peur semble être un des thèmes vers lesquels Mickey 3D revient sur tous ses albums. Je pense à la chanson La Peur, par exemple, l’une de vos plus poignantes, elle prend au ventre… Qu’est-ce qu’on peut faire devant la peur, nous, simples mortels, pour ne pas nous laisser écraser par celle-ci au quotidien?

"Je sais pas. Il faut regarder ceux qui sont plus malheureux que nous. Les gens en Afrique qui meurent du sida à chaque seconde. Les trois quarts de la planète manquent d’eau et d’hygiène. Je crois qu’il faut se tourner vers plus malheureux que soi parce que nous, quand même, on se porte pas mal, non?"

Ouais… Vous ne trouvez pas ça un peu déprimant?

"Si… Je constate que je vis sur une planète qui ne va pas vers du mieux, alors qu’on est quand même civilisés et qu’on pourrait arranger les choses et faire en sorte que tout le monde vive en harmonie. Je crois que l’être humain est foncièrement mauvais, en tout cas apparemment…"

Parmi les autres grands thèmes chez Mickey 3D, il y a la nostalgie de l’enfance, jusqu’à nous mettre des grillons en plage 14, pendant plusieurs minutes, après avoir évoqué les odeurs de juin et la sensation du foin, dans une chanson au titre éloquent, Quand on avait 7 ou 8 ans… Il y a tellement de nostalgie dans une affirmation comme "Je n’suis plus un enfant, je la connais la vie" (sur Rodéo). Et dans vos mots, la mélancolie n’est plus un état d’esprit vaguement automnal doux-amer. Chez vous, la mélancolie est "ultra-violente", n’est-ce pas?

"Le "problème", c’est que j’ai eu une enfance et une adolescence très agréables. Brel disait, lui, qu’il avait eu une enfance très triste et ennuyeuse et qu’il s’amusait beaucoup de la vie puisqu’il ne l’avait pas fait dans son enfance. Les gens comme moi, à l’inverse, s’ennuient beaucoup parce qu’ils n’arrivent plus à retrouver cet état de bonheur qu’ils ont connu pendant 20 ans. Quand on grandit, qu’on vieillit, et qu’on se rappelle tous ces moments-là, on se dit que ça ne reviendra peut-être pas… Je suis nostalgique, mais je ne suis pas quelqu’un de déprimé, je suis très conscient du fait que j’ai une vie d’Occidental pas malheureuse du tout, quoi."

L’irrésistible chanson de pop cinglante Matador m’a semblé un peu différente du reste de l’album et même du répertoire habituel de Mickey 3D. Dans quelles conditions a-t-elle été écrite?

"On me reproche souvent de ne pas écrire de chansons d’amour. Et moi, j’avais pas envie de faire une chanson d’amour, mais une chanson qui parle des rapports de force en amour, entre les hommes et les femmes, qui varient constamment. Y en a toujours un qui est plus fort que l’autre quand on s’engueule. Et j’avais envie de comparer ça à un taureau et un torero, c’est un exercice de style. Depuis, je m’amuse à faire des chansons qui tournent autour de l’amour."

En terminant, quels sont vos plans?

"On a fini la tournée d’été et on va attaquer la tournée d’automne."

Pourquoi pas un petit détour par Montréal?

"Je sais pas… J’ai un problème avec l’avion. J’ai peur de l’avion et puis comme en ce moment y en a un sur deux qui crashe, j’ai encore plus peur. Mais peut-être que l’été prochain… On verra."

En bateau peut-être?!

"Non… Il faudra que je défie ma peur de l’avion."

Mickey 3D
Matador
Virgin / EMI