Guy-Philippe Wells : Double vie
Musique

Guy-Philippe Wells : Double vie

Guy-Philippe Wells, après des années en politique, accouche de Futur Antérieur. Un album fantaisiste, un peu schizo, qui marque un net penchant pour la truculence et l’écriture artisanale de chansons.

On est au Saguenay, en 1986. L’adolescent Guy-Philippe Wells écoute la radio. Un homme s’époumone d’une voix douloureuse: "Double vie/À s’exiler/À se saouler". Soudain, le choc. En découvrant cette chanson de Richard Séguin, Wells s’aperçoit de la charge émotive que peut receler la musique québécoise, alors qu’il était surtout branché sur les chanteurs américains. Quelques années plus tard, il entre à l’Université de Montréal où il obtient son bac en sciences économiques en 1993. Il se cherche: "J’étais intéressé par la politique depuis toujours et, en même temps, je faisais aussi de la musique. Mais pour moi, le monde de la musique était inaccessible, je n’y connaissais personne. Je faisais des chansons à temps partiel. La politique était l’avenue la plus intéressante à ce moment-là."

Le Bloc québécois signe un coup d’éclat en devenant l’opposition officielle. Le fervent souverainiste qu’est Wells profite donc de l’occasion pour devenir recherchiste dans les troupes de Lucien Bouchard: "Quand on est recherchiste, on peut avoir des convictions politiques, mais on ne crée pas le changement, on peut participer un petit peu. Mais c’est sûr que je l’ai fait pour l’aventure, car c’en était toute une en 93. Maintenant, le Bloc est établi mais au départ, ce n’était rien, il n’y avait pas de programme politique à part l’idée de la souveraineté. Ça a duré quelques années, c’était vraiment plaisant." Après le référendum de 95, il suit Bouchard à Québec et devient son conseiller politique. Mais sa vie parallèle d’auteur-compositeur-interprète, les chansons qu’il compose et enregistre à ses moments perdus, l’incitent à se lancer à temps plein dans la musique. Il s’installe à Montréal où, depuis 1998, il travaille exclusivement à ses chansons.

Trois démos suivent, les encouragements aussi. À cette époque, il mise tout sur le disque à venir: "La scène m’effrayait, c’était l’aspect du métier qui me faisait le plus peur, je n’étais pas prêt à aller dans un petit bar pour chanter des chansons." Sept ans de labeur pour que Futur Antérieur paraisse enfin, un cd écartelé entre une veine poétique – où Wells se fait peintre des émotions et des paysages (jolies Saguenay Dry, Jusqu’où l’eau est profonde; magnifique Traverse mes nuits) – et une certaine truculence (Les Libellules) mêlée de contestation (La Vie Visa). Ce côté schizophrène est malicieusement représenté sur la pochette: un homme en complet veston et en bas résille, couché dans une baignoire. Il y a chez Wells une fantaisie que n’aurait pas reniée Boris Vian (Les Martiens), un verbe provocateur proche de Plume Latraverse, des rimes en "ul" (libellules, testicules, rotules, éjacule) qui auraient amusé Brassens. Mais il y a aussi l’auteur qui évoque le spectre du poète Gilbert Langevin dans la chanson C’est-tu moi qui est fou, dont l’écriture contemplative est pleine de promesses.

Guy-Philippe Wells
Futur Antérieur
(DE L’ONDE)