Chloé Sainte-Marie : Sainte Chloé
Musique

Chloé Sainte-Marie : Sainte Chloé

Chloé Sainte-Marie revient irriguer la chanson francophone avec un savoureux troisième album, Parle-moi, dans lequel elle chante tout en douceur ses poètes québécois de prédilection et un nouveau venu très prometteur.

Crinière de feu, Chloé Sainte-Marie illumine à elle seule un silencieux bureau climatisé dans le Vieux-Montréal. La conversation vogue de confidences en enthousiasme: "La poésie, je suis née dedans. J’ai connu Miron en même temps que Gilles. J’aime la poésie, et comme ce sont des textes transposés par des poètes, ça me permet de m’exprimer mais pas au premier degré. C’est une manière d’exprimer ma vie, mais je pense que chaque artiste fait ça. J’ai toujours lu davantage de poésie que de prose. J’ai appris à lire avec la Bible, qui est quand même poétique, tout l’Ancien Testament par exemple, ou Le Cantique des cantiques. Ma structure mentale était préparée pour lire de la poésie." Pourtant, adolescente, elle voulait faire du théâtre et lisait surtout les dramaturges, Tchekhov en tête. Mais un homme fait basculer sa vie: "C’est Gilles Carle qui, quand on s’est connu fin 81, début 82, m’a fait chanter dans ses films. On a dû faire mille prises de la chanson Cinéma, cinéma! Je n’avais pas confiance en moi pour chanter. Mais Gilles y croyait, et quand les autres croient en toi, ça te donne des ailes."

Grâce au cinéaste, elle découvre donc le chant et la poésie, les deux activités qui la font vivre aujourd’hui, celles qui font pétiller ses yeux verts quand elle parle: "Gilles était fou de Baudelaire, dans presque tous ses films, il faisait réciter de la poésie à ses personnages principaux." De la poésie à la chanson, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit en 1993 dans un (faux) premier album: L’Emploi de mon temps, où elle chante Fernando Arrabal, dramaturge espagnol, ami de Gilles, à qui Chloé avait demandé des textes: "C’est une histoire d’amitié, la vie m’a amenée vers Gaston Miron, Gilles Carle, vers Arrabal. C’était de très belles chansons mais pas pour moi. Je verrais une chanteuse française chanter ça, ce serait formidable. Mais moi, qui suis sur le continent américain, ça ne "fitte" pas. J’ai compris que je devais chanter les poètes québécois car c’est le même territoire acoustique et géographique, ça change tout dans ma démarche."

Arrive enfin en 1999 son premier coup de maître, à la surprise générale: Je pleure, tu pleures. La pochette est explicite, on y reconnaît à peine Chloé, comme si elle cherchait à se cacher: "C’est le graphiste qui avait transformé une photo, au fond c’était devenu un peu comme du Borduas, juste une tache noire. Ça correspondait bien à mon état d’être en 98. J’étais insécure. On voulait mettre l’accent sur les chansons. J’avais envie de casser mon image de comédienne, à laquelle je ne correspondais plus." Et quelle réussite! Elle est devenue en six ans et trois albums une chanteuse à part entière, à peu près seule dans son créneau, précieuse artiste qui chante toutes les cultures québécoises, avec une ouverture au monde inuit et amérindien par ses chansons en langues mohawk et innu!

Sur Parle-moi, on retrouve les Gaston Miron, Patrice Desbiens, Roland Giguère, et on remarque Alexis Lapointe, jeune poète québécois de 22 ans et petit-neveu de Gilles Carle, ayant publié jusqu’à présent dans de petites revues underground: "C’est un grand poète. Il a écrit Errances et salines écorchures à 17 ans. La sœur de Gilles m’a fait lire un texte qu’Alexis avait écrit quand il était allé à Cuba, à 14 ans. Je me suis dit que c’était pas possible d’écrire comme ça. C’était un journal de bord écrit comme des poèmes. D’ailleurs, la chanson Pacotille par amour des archanges, à l’origine, était une lettre qu’il avait envoyée à une fille. En la lisant, j’ai voulu la chanter."

Et le poète a bien sûr accepté – qu’est-ce qu’on pourrait refuser à une fille si enthousiaste et talentueuse? Une fille qui métamorphose un poème et le traîne dans la rue, comme Léo Ferré le souhaitait. Une chanteuse qui trimballe la poésie québécoise aux quatre coins de la francophonie, jusqu’en Suisse, sans aucune emphase, avec une authentique simplicité, juste parce qu’elle y croit. Tant d’humilité laisse rêveur: "Un poète, c’est quelqu’un de libre, il n’a pas besoin de moi pour que ses poèmes existent. C’est moi qui ai besoin d’eux. Qu’ils me permettent de les chanter, c’est extraordinaire, c’est un cadeau." Et réciproquement. Par ses albums, Chloé fait un cadeau à la culture québécoise, elle la fouette pour qu’elle vive encore plus fort, et ça marche.

Chloé Sainte-Marie
Parle-moi
(FGC Disques)