Ken Vandermark : État de crise
Le saxophoniste américain Ken Vandermark s’est toujours intéressé de près aux racines du jazz et a participé activement à l’évolution du free. Il nous livre ici des réflexions essentielles concernant la nature du processus de création.
Ken Vandermark quitte Boston au milieu de la vingtaine pour se rendre à Chicago: "Il y a, dans cette région du pays, une approche différente de la vie qui déteint sur la musique". Sa musique est fortement enracinée dans le blues, le bop et le free et il multiplie les références à des musiciens souvent sous-estimés: "Mississipi Fred MacDowell a réinventé la façon de jouer le blues à la guitare. Il a fait différentes versions d’une même composition, la réinventant constamment, comme Monk. Au début des années 70, Roland Kirk a amorcé de façon très personnelle la fusion entre le funk, le soul et le hard bop. Cela n’a pas été reconnu à sa juste valeur". Vandermark précise ce qui l’intéresse dans l’exploration de la musique des premiers créateurs de free: "L’histoire du jazz se caractérise par la reprise de thèmes, comme ce qu’a fait Miles Davis avec Round Midnight. Le début des années 60 représente une période très féconde en termes de compositions. Ces pièces servent de moteur agissant sur ma propre démarche de création. "
Depuis le début des années 90, Ken Vandermark a constamment multiplié les rencontres avec les musiciens d’avant-garde de la scène européenne et des pays scandinaves: "Peter Broetzman a exercé sur moi une influence majeure. J’aime sa clarté de pensée. Il comprend que le processus artistique est une démarche continue. Quant aux Scandinaves, ils ont créé, à partir de leur connaissance du jazz contemporain, leur propre style. Et c’est eux qui posent la question essentielle: "Vers quoi allons-nous?"" Cette réflexion amène le musicien à se sentir près d’artistes de différentes disciplines artistiques (peinture, cinéma, musique actuelle): "Le travail de John Cage m’a toujours beaucoup interpellé par les questions qu’il soulève concernant la nature de la musique. Ce que j’aime chez Mondrian, Satie, Antonioni ou Greenaway, c’est leur façon de considérer forme et fond". Quand il travaille en solo, le polyinstrumentiste (saxophone, clarinette et clarinette basse) aime bien travailler avec un peintre, comme il le fait cette année à Chicago avec Richard Hall: "J’improvise à partir de ses toiles. Le travail en solo représente un point de départ".
Ken Vandermark cerne la situation de l’avant-garde en jazz aujourd’hui, dénonçant un manque de regard critique et pressentant un certain état de crise: "Le problème avec la période du milieu des années 70, c’est qu’on n’en a pas fait réellement d’analyse. Maintenant, il y a un manque de confrontation critique des œuvres. Les antécédents rock de plusieurs musiciens sont une réalité, comme on ne peut nier la présence de l’électronique. Ce sont des outils. En 2005, il n’y a pas assez de gens qui savent vers quoi aller". Le souffleur s’amène à Montréal avec l’une des nombreuses formations au sein desquelles il œuvre, le Free Music Ensemble, avec Nate McBride (contrebasse) et Paal Nilssen-Love (batterie). En quoi ce "projet" se distingue-t-il?: "La différence entre le travail du FME et celui de mes autres groupes se situe dans la façon dont la musique est organisée. L’architecture offre plus de flexibilité".
Points de repère discographiques: Free Music Ensemble (Underground), Solo (Furniture Music), Vandermark 5 (Airports For Light), Peter Broetzman Chicago Tentet (Be Music Tonight).
Le 23 septembre
À la Casa del Popolo
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