Yann Perreau : Bombe à retardement
Musique

Yann Perreau : Bombe à retardement

Yann Perreau s’apprête à attaquer le Club Soda, six mois après la sortie de l’éclaté Nucléaire, bombe de douceur et de groove. Quelques soirs qui s’annoncent chauds et baveux, comme son affiche en témoigne.

Partout en ville, Yann Perreau montre ses fesses sur les affiches publicitaires de son nouveau spectacle. Impossible de prendre le bus sans en voir une. Même les hétéros les plus convaincus ne voient qu’elles. Il pose de dos, en jean moulant, l’air un peu arrogant. Le jeune homme se défend bien d’avoir voulu jouer le jeu de la séduction: "Je pensais à Bruce Springsteen, je lisais beaucoup sur lui, et il y a une photo sur un de ses disques (Born in the USA), c’est un clin d’œil, carrément une niaiserie, avec l’aspect cow-boy, annonce de jeans… Tout le monde m’a parlé de cette affiche, mais personne ne m’a dit: "Ouin, tu te montres le cul…" Mais c’est un peu ça le but, quand tu fais une campagne d’affichage, tu veux que ça "punche". Je te jure qu’il n’y avait rien de prémédité, mais je l’assume. Le sexe, ça va avec le rock. Quant aux strings (à son effigie, vendus aux spectacles), on en a fait une édition limitée de cent, on trouvait ça coquin. Je pense qu’on a été les premiers à le faire au Québec."

Tout ça dessine les contours du personnage Yann Perreau: franc, direct, baveux. Honnête et précis comme son écriture, dans une langue québécoise revendiquée: "J’écris depuis que je suis ben jeune; à la petite école, je faisais des poèmes. Au secondaire, plus rigoureusement, c’était Rimbaud, Baudelaire, Nelligan, des poètes romantiques. Quand j’ai commencé à faire du rock, c’était Kerouac, Jagger, Morrison. Au Québec, Richard Desjardins: c’est lui qui m’a donné le goût de faire des shows et d’en faire une carrière. C’est lui qui a allumé ce désir-là, car au début, je voyais ça comme inaccessible: je viens de la campagne, personne ne fait vraiment de l’art dans mon entourage proche. J’ai ouvert mon chemin moi-même, avec mes chums, avec Doc et les Chirurgiens."

À l’époque, Yann s’appelait encore Perreault, deux lettres qu’il enlèvera pour faire carrière en solo: "Avec Doc et les Chirurgiens, j’avais fait Cégep Rock et L’Empire des Futures Stars, mais quand j’ai commencé mon projet solo, ça ne me tentait pas de faire des concours. Je me suis essayé par la porte d’en arrière. Je suis content parce que ça s’est bien passé, et en même temps je ne suis pas resté avec le mot "concours" ou "festival" étampé dans la face."

Il y a une quête de pureté chez le chanteur qui peut s’apparenter à une forme d’arrogance, une autosatisfaction essentielle si on veut bien monter les échelons dans ce métier hargneux et vindicatif: "Je fonctionne bien sous la pression, je suis un batailleur." Il a la formule-choc, l’auto-analyse aiguisée. Ce samedi midi, dans un resto du Plateau, Yann Perreau donne l’impression d’un artiste bien conscient de l’impact qu’il souhaite créer. Il ne laisse rien au hasard, son discours est intelligible et réfléchi: "Mes parents avaient un bar, alors j’ai toujours côtoyé un milieu où il y avait des bands, des D.J., des chansons, et toujours de l’alcool. J’ai besoin de faire du sport, ça aide à canaliser mes énergies, à me "grounder", à me concentrer. Mais partir sur une balloune libère ma folie. Par contre, en ce moment, j’ai arrêté de boire pour une période d’un mois, parce que je fais plein d’entrevues, je prépare mon spectacle, j’ai besoin que mes idées soient claires. Je m’entraîne, je fais du jogging tous les jours."

Il a le regard lointain, les yeux ailleurs, il fixe le mur comme un comédien qui souhaite répondre le plus justement aux questions, en cherchant les mots d’un texte qu’on jurerait appris par cœur. Parfois, l’entrevue prend des allures de soliloque. Perreau fait partie de ces artistes allumés qu’un seul mot suffit à faire décoller, l’envie de se raconter déclenche une salve – les questions trop longues sont à bannir. Il suffit de tendre l’oreille pour la suite de l’histoire.

Yann quitte Doc et les Chirurgiens pour vivre de nouvelles expériences: "J’étais dans une troupe de théâtre. Parallèlement, j’essayais de monter mes nouvelles tounes mais pas dans le but de faire un disque, plutôt pour faire une bonne maquette et tenter de trouver un contrat de disques. Mais moi pendant ce temps-là, j’étais salarié, j’allais au théâtre, j’apprenais, j’étais entouré de professionnels du théâtre, de comédiens." Le chanteur est un grand voyageur, un beatnik de la chanson. L’appel de l’Europe et de la musique se fait à nouveau sentir. Pour l’an 2000, Yann se promet de ne faire que ce qui lui plaît, quitte à vivre pauvrement. Il fabrique à la main une maquette de six chansons qui lui permet d’obtenir une bourse qui le mènera loin: "Je suis parti avec mon sac à dos, j’ai joué pendant une semaine à la Maison du Québec à Saint-Malo, et j’ai allongé mon trip de deux autres mois, par mes propres moyens. J’ai fait des shows (piano-voix), j’ai descendu toute la côte, en passant par Nantes, Bordeaux, Capbreton, les Pyrénées, Toulouse, Marseille, Grenoble, pour finir à Paris. J’ai distribué ma maquette dans les endroits où j’ai joué, dans les festivals."

Si on pense arrogance chez Yann Perreau, on songe aussi à persévérance, voire acharnement. Un sacré courage pour tracer ainsi son sillon en solitaire, avec pour arme principale des chansons contagieuses, enivrantes: "Les événements se sont enchaînés, ça s’est fait parce que j’avais de l’initiative, j’ai su profiter de ce que j’avais appris avec Doc et les Chirurgiens: être autonome, se grouiller le cul. C’est pour ça que je n’ai pas fait de concours, j’ai suivi un autre chemin, mais je suis conscient que c’est Cégep Rock qui nous a mis sur la mappe." Au-delà de la musique de Doc et les Chirurgiens, il y avait un type sur scène qui bougeait admirablement, qui prenait déjà tout le plancher à lui tout seul. Un showman-né. Perreault. Et ça ne fera que se peaufiner au fil des ans, jusqu’à devenir une véritable bête de scène, une décharge électrique.

Le voyage en France porte fruit: "Quand je suis rentré au Québec, ça a déboulé. La fille qui s’occupait de la Maison du Québec à Saint-Malo a téléphoné à Alain Chartrand de Coup de cœur francophone pour lui dire: "Il faut que tu bookes Yann Perreau à Coup de cœur cette année, il est vraiment prêt." J’ai donc fait la première partie de Bori en 2001. J’ai rencontré mon éditeur et j’ai signé mon contrat d’édition. Avec Gilles (Brisebois, musicien, entre autres, dans La Sale Affaire de Leloup), on avait le feu au cul, tout se passait bien, on a décidé de continuer notre démo. J’ai fait d’autres chansons, on a monté ça à 13. J’ai rencontré ma productrice au début de 2002 par l’entremise de Gilles, qui est devenu le réalisateur de Western Romance."

De Western Romance, sorti en 2002, jusqu’au tout nouveau Nucléaire, on remarque un groove, une patte bien personnelle qui se dégagent de ses albums. "Je fais tout le temps ça: on fait une pré-prod, et après on ré-enregistre tout et on garde le meilleur, et on fait un hybride ou un mutant. J’aime ça quand il y a l’ambiance, l’esprit. Après, c’est sûr que la qualité du son est moins bonne, mais ça va avec, on sent l’énergie, l’idée de départ, l’essence de ce que l’artiste a à communiquer. Je n’aime pas quand c’est trop léché." Et nous, on apprécie chez Perreau cette intransigeance, cette quête de la chanson salement parfaite qui ferait danser et chanter les cow-boys du Québec et d’Europe, road trip fantasmagorique.

Les 6, 7, 8 octobre
Au Club Soda