Sean Paul : Prophète en son pays
Le dernier opus de Sean Paul, The Trinity, est arrivé cette semaine dans les bacs et c’est à Paris qu’il nous en a parlé très librement.
Le Jamaïcain possède un emploi du temps de ministre. Alors que l’interview devait se tenir à 14 h 30 dans un superbe palace parisien, c’est dans une limousine, trois heures plus tard, qu’elle a eu lieu. Sean Paul, l’ambassadeur international du reggae dancehall, nous a accordé 30 minutes, juste le temps de se rendre de l’hôtel jusqu’au plateau télé qui l’accueillait pour y chanter son nouveau single, We Be Burnin’, Recognize It. Heureusement que le trajet n’était pas plus court…
C.S.: Vous avez changé le titre de ce fameux single. Alors qu’il s’appelait We Be Burnin’, Legalize It, vous l’avez renommé Recognize It. Pourquoi?
S.P.: "Certaines personnes m’ont expliqué qu’il ne fallait pas que je fasse l’apologie d’une quelconque drogue. Elles préféraient donc que je modifie quelques lignes de la chanson pour éviter justement de me retrouver avec des procès ou une censure qui empêcheraient mes fans d’écouter ma musique. Comme je déteste me plier à ce genre d’obligation, j’ai préféré non seulement en changer le titre, mais aussi les paroles entières. Cela ne signifie pas que j’abandonne l’originale, elle aura sa place sur scène…"
Pensez-vous que légaliser les drogues douces serait une bonne chose pour les jeunes?
"Je ne suis pas là pour donner des leçons de morale à qui que ce soit. Je fume régulièrement et je me porte bien mieux que certains qui s’écroulent après avoir bu un litre de vodka ou de whisky. Chaque fumeur doit être responsable de ses actes et de sa vie. À partir de là, chacun peut fumer un joint sans que cela ne le détruise ou incommode son entourage. L’herbe, je te le rappelle, reste un produit naturel, ce qui n’est pas le cas de la cigarette, de l’alcool ou des drogues dures."
Vous avez travaillé sur ce disque sur une période de trois ans et uniquement en Jamaïque. Pourquoi avoir mis autant de temps?
"J’ai adoré collaborer avec des jeunes producteurs de la scène dancehall jamaïcaine. Les plus prisés même (Steven "Lenky" Marsden, Don Corleone, Renaissance Crew et Snowcone, pour ne citer qu’eux). Ayant déjà travaillé avec les plus grands noms du hip-hop, j’aurais pu concevoir cet album et le réaliser n’importe où dans le monde, et surtout avec n’importe qui. Toutefois, je suis fier de pouvoir dire que cet album a été produit entièrement ici, dans le Tiers-Monde, avec mes amis. D’où le titre Trinity, un concept spirituel pour illustrer trois éléments, le Tiers Monde, l’Amour et la Musique, réunis en un seul. J’ai aussi voulu démontrer avec ce disque qu’il faut arrêter de croire qu’en Jamaïque, il n’existe que des fumeurs de pétards et que nous n’avons aucun potentiel artistique. En œuvrant dans mon pays, j’ai découvert des musiciens, arrangeurs et compositeurs très performants et talentueux. Je ne vois pas pourquoi je les éviterais et je ne le ferais pas savoir au monde entier qu’ils sont géniaux et très professionnels."
Sur cette nouvelle galette, vous parlez beaucoup d’argent. Est-ce une motivation première, voire une forme de revanche pour vous que d’en gagner beaucoup?
"Non, du tout. Le fric, c’est le nerf de la guerre de toute façon; sans argent, tu n’as accès à rien. Si tu veux bien vivre, tu n’as pas le choix, tu dois empocher le plus de cash possible pour ne ressentir aucune frustration. J’ai été pauvre, désormais je suis plus riche. J’assume. Si j’avais été astronaute ou chirurgien, les journalistes trouveraient cela normal; pourquoi un artiste noir n’aurait pas le droit de devenir fortuné un jour lui aussi? Je trouve que les frontières raciales sont déjà assez visibles pour éviter d’en rajouter d’autres."
Donc, tu ne fais aucune concession sur ce disque…
"Absolument. Je m’exprime librement à travers des chansons comme Never Gonna Be the Same. Celle-ci se révèle un hommage à mon éternel ami Daddigon. Il s’est fait tuer au début de 2005 dans les rues de Kingston et je ne m’en remets toujours pas. Il a été mon meilleur ami au cours des trois ou quatre premières années de ma carrière. L’un des premiers gamins avec lesquels on s’est mis à rouler des joints. Cela ne s’oublie pas. Rien ne sera jamais plus pareil sans lui. Avec son exécution, j’ai réalisé que la planète entière semblait condamnée à être en état de guerre et à vivre constamment dans la crainte. Au cours des six derniers mois, quelque 600 personnes ont été tuées ici en Jamaïque, je ne peux pas m’empêcher d’en parler. Tant que je serai en vie, je continuerai de le chanter. Nous ne sommes pas en Irak où les gens se battent pour du pétrole, mais ce sont néanmoins des frères qui se sont tapé dessus ou qui ont été exécutés pour quelques dollars. C’est de la folie que je n’arrive pas à comprendre. Ma musique sert aussi à dénoncer cela."
Sean Paul
The Trinity
Warner