Brad Mehldau : Le grand jour
Musique

Brad Mehldau : Le grand jour

Brad Mehldau parvient à rallier le grand public et la critique. Il vient de faire paraître Day Is Done. Conversation avec l’un des pianistes de jazz les plus brillants de sa génération.

Qu’est-ce qui a motivé le choix du répertoire sur ce nouvel album?

"La sélection des pièces fut difficile parce que nous avions beaucoup de matériel – une quinzaine de chansons au point de départ. J’ai tenté de les regrouper en un tout harmonieux, de façon à offrir à l’auditeur une expérience d’écoute qui ait du sens. En comparaison avec mes disques antérieurs, celui-ci présente un niveau d’énergie relativement élevé."

Nous retrouvons à nouveau sur Day Is Done des chansons des Beatles et de Radiohead. Aimez-vous ces chansons pour la simple beauté de leurs thèmes? Présentent-elles des aspects mélodiques/harmoniques/rythmiques qui fournissent un tas d’idées pour l’improvisation?

"On peut dire beaucoup de choses à propos de ces chansons. Elles présentent une harmonie que j’associe à la musique romantique. Au plan formel, il y a souvent une surprise: elles sont basées sur les formes habituelles d’une chanson, puis présentent vers la fin quelque chose de bizarre, un ajout original, comme dans Martha My Dear. Ces petits trucs créent une ouverture, un tremplin d’où s’élancer."

Parfois, vous semblez mettre l’accent sur l’aspect délicat de la ligne mélodique, à d’autres moments sur l’aspect dramatique, sur les points de rupture. Votre adaptation de She’s Leaving Home rappelle l’aspect narratif de cette chanson.

"En effet, c’est important pour moi, et le terme short story est une bonne métaphore. Je me représente ces chansons comme des récits en miniature, et le traitement improvisé que nous leur donnons est une façon d’ouvrir cette miniature et de la développer."

On peut considérer votre musique comme étant d’abord et avant tout du jazz à cause de la grande place accordée à l’improvisation. Mais pourriez-vous dire qu’elle intègre le langage de la musique classique (l’impressionnisme, Bartók, le formalisme) et le langage du rock ou de la pop (son énergie)?

"Je reconnais certainement tous ces aspects. Le jazz est pour moi un gros parapluie sous lequel toutes ces formes hybrides peuvent se réunir. Le jazz se définit par plusieurs caractéristiques: le sentiment du swing, l’élasticité du rythme, le feeling du blues."

Vous en êtes venu à une très grande indépendance des deux mains. Parfois, dans des pièces en trio tout comme en solo, nous avons l’impression d’un dialogue, d’une rencontre entre deux voix.

"L’indépendance des deux mains, l’aspect dialogue, c’est quelque chose qui s’est développé dans mon jeu et qui continue de le faire. C’est un choix plus évident dans un contexte solo, où il y a une possibilité de jouer immédiatement d’une façon plus orchestrale. C’est plus difficile dans un contexte de trio, ça risque d’interférer dans le jeu de Larry Grenadier et de Jeff Balard."

Votre nouvelle composition Artis est très énergique, très moderne. Cela me rappelle la progression d’accords de Giant Steps de Coltrane, mais surtout l’un de mes disques de jazz préférés, Nefertiti, de Miles, avec Pinocchio et ces nombreuses pièces de Wayne Shorter.

"La section coda d’Artis est une sorte de commentaire sur l’harmonie de Giant Steps, et le vocabulaire harmonique de Coltrane, en général, m’interpelle assurément beaucoup. Également, les albums du grand quintette de Miles du milieu des années 60 ont beaucoup contribué à forger mon identité musicale et je suis certainement très flatté par ce rapprochement!"

Brad Mehldau
Day Is Done
Nonesuch