Patricia Kaas : Tequila est là
Musique

Patricia Kaas : Tequila est là

Pas d’amour, des pans de solitude, une jeunesse endeuillée, le désir de porter un enfant, Patricia Kaas, blonde icône au sourire triste ayant ravagé tous les palmarès francophones, vit encore des manques et des doutes. Mais au moins… elle a un chien.

Une bestiole offerte par Claude Lelouch à la fin du tournage de And Now Ladies and Gentlemen, film où Kaas incarnait avec justesse et charme, auprès de Jeremy Irons, une chanteuse amnésique forcément décalée. Un bichon, baptisé Tequila, "pas tellement plus gros qu’un rat, mais un peu tout de même…", précise fièrement la chanteuse rencontrée quelques jours avant le finale québécois de la tournée soutenant l’album Sexe fort. Le poodle à poil long, genre vadrouille de concierge, ne sert pas que les fins de semaine d’époussetage à épancher l’absence. Kaas emmène l’heureux animal partout.

Ainsi, en moins d’un an et demi, au fil de 172 concerts, Tequila a traîné de la patte en coulisse de la place Tienanmen jusqu’aux îles Sous-le-Vent. Et pour le peu de temps qui reste, la bête traîne là où tant d’admirateurs aimeraient traîner. À Paris évidemment, et, bien paisiblement, dans ce huit pièces du centre de Zurich où la star franchit encore en solitaire le cap du deuil d’un amour houleux.

Une douloureuse rupture dont elle impute la faute autant à ses incapacités affectives qu’à l’amour inconditionnel de son métier. Paire d’éléments essentiels permettant de comprendre pourquoi mademoiselle chante le blues et les intonations déchirantes de Je voudrais la connaître ou J’ai tout quitté pour toi.

"J’ai l’impression d’être née pour donner, explique le petit accent cassé. J’ai toujours eu beaucoup de problèmes à recevoir. Dès que je sens qu’on m’aime trop, j’entre dans le doute. Je me demande ce que j’ai de plus que les autres! Je crois que c’est peut-être parce que j’ai perdu ma maman à 20 ans et que depuis, j’ai peur de perdre ceux qui m’aiment… Et puis à 40 ans, on a sa petite vie, les habitudes s’installent", avance-t-elle avant d’évoquer les réactions instinctives des mâles qui, hormis Tequila, se sont confrontés à son inéluctable destin d’artiste: "Au départ, les hommes éprouvent une admiration, une fierté pour la femme adulée qui monte sur scène, pour son courage, sa gloire… Mais cette espèce d’admiration se transforme peu à peu en jalousie. L’homme se dit: "Bien, elle, son histoire d’amour, sa grande passion, c’est son métier, son public, et moi je ne suis qu’un amant." Et ça, ça ne lui suffit pas longtemps."

Outre ce "j’ai perdu ma maman très jeune" qu’elle répétera à cinq reprises durant l’entretien, Kaas, de son propre aveu, n’entrevoit pas d’autre thérapie pour apaiser ses deuils et ses doutes que sa propre introspection. "Je ne suis pas contre mais ça ne m’a jamais attirée d’étaler ma vie. En s’observant, on peut se corriger."

DES ATTRACTIONS DÉSASTRES

Ce désintérêt pour l’épanchement sur le divan ou la confession rituelle, Kaas l’explique en partie par son refus de dissocier l’artiste de la femme, bien consciente que ces états émotifs transposés à la scène font en quelque sorte partie du personnage. Une femme pour laquelle l’amour reste un désir durable et dont l’hymne préféré demeure Entrer dans la lumière, chanson sur le sacrifice cannibale entre l’artiste et son public mais aussi sur la métamorphose de la mort. Elle dira, prosaïque, à titre d’exemple de ces attractions: "J’aime le regard. J’aime le sourire des gens. Un public difficile demande la perfection. On passe des heures sur le son, les lumières, je dessine les décors… c’est mon élément. Mais paf! Il suffit d’une personne, une seule au premier rang, un type qui est là involontairement parce qu’il a suivi une amie. Subitement, vous vous rendez compte que lui, il ne vous applaudit jamais. Et du coup, les 4999 autres spectateurs deviennent invisibles, presque inutiles, et le doute s’installe."

QU’IL ME DISE QUE JE SUIS BELLE

Un doute navrant que le commun des mortels trouverait ridicule, alors que l’on sait qu’il marque jusque dans la chair, un perfectionnisme que l’adulation des masses ne parvient à soulager que temporairement: "Être désirée, aimée, c’est formidable, mais ça reste le regard des autres", explique cette fille dont la chute de reins agrémente 10 pages de fantasmes internautiques! "Je suis très critique envers moi-même, peut-être parce que quand j’étais petite, j’avais de beaux yeux bleus et une voix. Et qu’on me résumait à ça. Moi, je me suis toujours trouvée trop fine, trop blanche, trop ceci, trop cela."

Et on se surprend de constater que cette petite fille qui se destinait peut-être à la célébrité trouve le moyen, lorsqu’elle se trouve "moche et bête", de balancer sa nouvelle robe Gucci qui ne va pas avec sa gueule les jours de temps gris: "Au départ, ma passion, c’était de chanter. Le côté médiatique, je ne m’y attendais pas. Quand vous vous voyez perpétuellement vous-même à travers des photos de magazines, vous essayez de vous ressembler, et ça vous fait vous oublier vous-même (!). Ensuite, on a peur de décevoir… Quand j’allais dans un club de sport et que je suais sur mon vélo, des gens me reconnaissaient et murmuraient: "Oh, elle est pas comme à la télé." Alors j’ai peur de décevoir." Là-dessus, Kaas pense toutefois avoir évolué: "Parfois, tout de même, je me la joue… Je me dis: "Attends, qu’est-ce que t’as encore à prouver!? Au diable s’ils me trouvent cernée et moche…" Mais je suis encore sensible à ce genre de critique."

Au tableau noir des critiques, on sent que la femme de 38 ans éprouve maintenant l’envie de se distancier de l’image chanteuse de charme formatée FM-baby-boomer à la Piaf 2000. Ce n’est donc pas sans fierté qu’au-delà du ton plus agressif de son dernier album, elle rapporte avoir fait du stage diving à l’Olympia, portée sans peine par les masses grouillantes de fans. Mais quand il est question d’ici, ce petit 50 kilos affiche une mémoire de pachyderme.

"Au Québec, j’ai pu lire que j’étais distante et froide, et ça m’a fait mal parce que ce n’est qu’un manque de confiance et de la timidité. Je sais que je me cache derrière une carapace. Ça me pourrit la vie, cette timidité. Surtout ce manque de confiance qui rend les choses plus difficiles dans la vie. En même temps, les gens qui sont sûrs d’eux, c’est un peu lassant… Peut-être que c’est ça qui touche, ma maladresse…"

PAPA, MAMAN

"Faudrait que je me force à m’arrêter. Je voudrais avoir un enfant. Avant, ce n’était jamais le bon moment… Le papa? Il existe assurément… Je ne l’ai pas rencontré."

Et après un quart de siècle, cet ange, sourire triste, mince bouche ourlée d’amertume, yeux bleus délavés toujours ailleurs, envisage son existence loin des feux de la rampe. Là où, dit-elle, "le climat détraqué du monde ne pourrit pas trop le moral".

"Je feuillette les magazines d’immobilier. Ce serait sympa d’avoir une propriété dans les îles du Sud! Mais il faut une famille… Se retrouver dans une sublime maison toute seule? Je ne vois pas pourquoi j’irais promener ma solitude ailleurs."

Il me vient en tête l’image de ces films expressionnistes du début du cinéma parlant, racontant le destin des stars adulées de Sunset Boulevard, ou le mythe de Dietrich et Garbo recluses hors du monde. Si Kaas se soupçonne facilement de compenser avec Tequila, elle ne fait tout de même pas un drame pathétique de ses espaces vacants. Après des temps durs, elle croit fermement entrer dans une période de don et de confiance renforcée, entre autres, par l’imperfection délibérée de son image chez Lelouch: "Ça m’arrive de faire Dietrich seule à la maison, mais c’est une solitude entourée. On n’a pas forcément envie de voir les amis qui nous tirent la manche pour sortir quand, comme moi, on se retrouve rarement chez soi. Plutôt ne rien faire, commander une pizza, regarder n’importe quoi à la télé…"

Et puis subitement, elle interrompt cette énumération banale et demande: "Dites donc, Marlène, est-ce qu’elle avait un chien?"

Patricia Kaas, Sexe fort, Sony Musique, 2004

Toute la musique, Sony Musique, 2005

Le 11 octobre
Au Théâtre Saint-Denis de Montréal
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