Katerine : Chanteur après tout
Musique

Katerine : Chanteur après tout

Le dandy décadent Katerine dynamite la chanson française avec une irrévérence rare depuis plus de dix ans. Avec Robots après tout, il sabote son confort musical et fonce tête baissée dans la techno patraque et le rose pâle.

"J’ai écrit Je vous emmerde après une expérience personnelle malheureuse. Toutes mes chansons sont faites parce que j’en ressens le besoin, et non pas en pensant à l’accueil qu’elles récolteront. Enfin, j’étais comme ça, mais maintenant j’aime jouer au chat et à la souris avec la personne qui écoute la chanson, je pense beaucoup plus à l’auditeur qu’avant", explique un Katerine nonchalant et ironique au bout du fil. La dérision, le sabotage s’incrustent partout dans cette conversation, et on n’imaginait pas le chanteur autrement.

Pourtant, il n’a pas toujours été ce personnage exubérant et drôle, plein d’arrogance festive, de rires hautains. À ses débuts dans la musique, Katerine se sentait petit, si menu qu’il n’osait pas chanter lui-même sur ses deux premiers albums (Les Mariages chinois en 92 et L’Éducation anglaise, 94), confiant cette tâche à d’autres. Ça donnait des chansons plus minimalistes, emplies de petits sons, interprétées vraisemblablement par une fillette de dix ans ou un gars qui n’a pas mué. De l’amateurisme revendiqué: "Enregistrer un disque à la maison, Dominique A l’a fait, moi aussi. Ça fait prendre conscience que l’on peut faire les choses même si on n’a pas les moyens, même si on ne les mérite pas forcément, même si on n’est pas professionnel."

Il veut bien enregistrer en amateur, mais pas question de chanter lui-même ses chansons: "À l’époque, je m’excusais un peu de faire des disques et tout ça, je ne me sentais pas dans la peau d’un chanteur. Ça passait par la voix aussi, je n’assumais pas le fait de chanter. Mais à force de faire des concerts et d’enregistrer, je n’ai plus eu peur." Et c’est lorsqu’il s’assuma pleinement comme chanteur, avec Mes Mauvaises Fréquentations (1996), qu’il devint un des meilleurs artistes de sa génération. Troublant et jouissif.

Le plaisir instantané que procurent les chansons de Katerine décoiffe. On met sur la platine son avant-dernier disque, Huitième Ciel, on entend Inutile et on jubile d’entendre sa voix désenchantée murmurer: "Quoi de plus difficile/Que d’être inutile/D’être du vent/De n’être rien/Mais être tout/Avec du style/Le style avant tout." Moqueur, il en raconte la genèse: "À cette époque-là, ça faisait trois après-midi que je passais au lit, en me faisant passer pour malade. Après trois jours, j’ai commencé à ressentir une petite culpabilité, alors j’ai écrit cette chanson comme une rédemption. Je me suis senti beaucoup mieux, j’ai eu envie de me lever, de sortir dans la rue, d’être enfin efficace!" Au moment des faits, il avait plus de trente ans. Se faisait passer pour malade. Comme un enfant. Katerine, c’est le style avant tout, la dérision partout.

Les albums de Katerine sont un vaste foutoir, où on peut trouver des chansons-blagues, des hymnes perfides (comme Inutile), de la poésie sur de la pop psychédélique. Son plus récent, Robots après tout (en référence à Human After All de Daft Punk), fonce encore plus dans le côté bric-à-brac, c’est tout à la fois déroutant et stimulant, énergique et poétique, voire politique. Beck est passé par là: "Je l’ai toujours beaucoup apprécié et Odelay est un album qui m’a marqué. On a l’impression que c’est un enfant gâté qui rentrait dans une boutique et qui volait tous les articles en les combinant un peu différemment. Je trouve ça formidable d’avoir ce toupet. J’imagine que ce disque m’a marqué pour les libertés que Beck y avait prises sans avoir de complexes. Mais je ne chante pas aussi bien que lui, je ne suis pas aussi doué pour la musique !" Plus de dix ans après ses débuts, complexé, il s’excuse encore de chanter. Sans doute feint-il de ne pas savoir que c’est son chant d’amateur que l’on aime chez lui. Entre autres.

Robots après tout adopte une forme de techno patraque, cassant la routine créative de Katerine: "J’ai complètement changé de façon de faire. J’ai composé cet album sur une petite machine qu’un copain m’a prêtée, alors que d’habitude j’utilise surtout la guitare ou le piano. C’était des sons et des grooves un peu mécaniques. Ensuite, j’ai demandé à Gonzales de réaliser le disque, il a repris certaines idées et en a contredit d’autres. Les séances se sont bien déroulées. J’avais juste emmené les maquettes, alors je n’avais pas grand-chose à faire, j’étais dans le canapé à lire le journal pendant qu’eux travaillaient sur l’ordinateur, à trouver les bonnes boucles, les bons arrangements. Voilà, je découvrais mes chansons petit à petit dans leur côté le plus avantageux." Rupture dans sa manière de composer dans le but précis d’emmener son œuvre ailleurs: "C’est vrai que je peux être quelqu’un d’assez alangui par moments, je le reconnais, et je trouvais que ça allait bien sur des rythmiques un peu martiales, mécaniques. C’est dans le contraste que les choses peuvent se passer."

Plus que jamais, sur Robots après tout, Katerine fait éclater les normes, s’octroie une liberté de langage totale: "Je veux m’exprimer avec les mots que j’utilise au quotidien, sans me censurer, sans chercher à faire de la poésie." Il ne le cherche pas, mais y parvient malgré tout: poète décadent, chanteur jouisseur, rieur. Sacrément utile.

Katerine
Robots après tout
(Universal)
En magasin le 18 octobre