Wolf Parade : L’heure du loup
Wolf Parade revient dans son Montréal adoptif pour un premier concert important en tête d’affiche après une tournée occupée avec Arcade Fire et un premier disque lancé chez la mythique étiquette Sub Pop, qui laisse espérer beaucoup plus qu’une hype. Hurlez! Les loups approchent.
Pour les fans de la première heure, Wolf Parade est ce groupe un peu chaotique découvert il y a deux ans et demi au lilliputien Jupiter Room juste avant une formation qui prenait son élan avant de décoller en grande, Arcade Fire, mais qui restait jusqu’alors une confidence échangée entre mélomanes geeks incrustés dans les petites salles du Mile-End.
Pour d’autres, Wolf Parade est cette troupe rencontrée en première partie d’Arcade Fire toujours, au Corona en avril dernier lors des trois concerts explosifs, ce groupe un peu tout croche et désorganisé, les pieds pris dans ses fils, mais qui avait su intriguer avec ses airs de rock fiévreux, les voix croisées et singulières de deux chanteurs allumés, son étonnante fébrilité toute canalisée dans le genou de caoutchouc du chanteur-guitariste Dan Boeckner.
À la veille de son départ pour le Dakota du Nord, amorçant une tournée sans Arcade Fire, Wolf Parade commence par Montréal pour ensuite se diriger vers l’Europe où il sera en tournée avec les filles fortes de Sleater-Kinney et Black Mountain. Nous avons parlé à Hadji Bakara, responsable des délicats bidouillages qui déformatent la pop carrée et agressive du quintette, auteur des passes de claviers éthérés, des bruits de synthétiseurs et aussi d’un mémoire de maîtrise en littérature anglaise en cours de route à l’Université McGill sur le cynisme chez les écrivains de l’après-guerre.
Un peu partout dans les magazines, on vous présente comme un groupe montréalais, bien que les membres de Wolf Parade soient tous originaires de Colombie-Britannique sauf toi, qui es de Detroit, et que vous viviez tous à Montréal depuis une couple d’années seulement. Vous considérez-vous comme un band montréalais?
Hadji Bakara: "Même si on s’est tous rencontrés en Colombie-Britannique, Wolf Parade a démarré à Montréal il y a deux ans et demi au Jupiter Room lors d’un concert-bénéfice visant à amasser des fonds pour un organisme qui aide les jeunes dans la rue. Arcade Fire avait invité Spencer (Krug, chanteur et claviériste) à ouvrir pour le band et il avait accepté. Il a appelé Dan (Boeckner, l’autre chanteur et guitariste), ils ont assemblé leurs chansons respectives, ont demandé à Arlen Thompson de les accompagner à la batterie, et c’est à ce moment-là que tout a commencé. Je les ai rejoints en septembre, cette année-là."
Il y a deux chanteurs dans Wolf Parade, ce qui semble contribuer largement à la synergie particulière, au son et à l’énergie du groupe. Comment composez-vous au juste?
"C’est un processus intéressant, ouvert et démocratique, car bien qu’il y ait en réalité deux auteurs-compositeurs, tous sont mis à contribution. Dan ou Spencer arrivent souvent avec des bribes de chansons et on se met à les jouer et à les rejouer, en nous les appropriant. Finalement, la synergie que tu mentionnes opère, transforme le jam en quelque chose qui commence à ressembler à une chanson."
Il y a bien quelques fantômes qui hantent ce disque (Same Ghost Every Night, Dear Sons and Daughters of Hungry Ghosts) et de drôles de liens de parenté tordus (I Am My Father’s Son, Grounds for Divorce, I Am My Mother’s Hand). D’où provient cette sensibilité déconcertante?
"Plusieurs des chansons écrites par Spencer viennent de sa fascination – consciente ou non – pour la mythologie; il semble avoir été marqué par un cours sur la mythologie grecque suivi à l’Université Concordia. Quant aux textes de Dan, ils m’apparaissent plus personnels, moins tournés vers un intérêt extérieur. Je sais que la mère de Dan est décédée il y a environ deux ans, juste avant qu’on forme le band en fait, et qu’il est déménagé à Montréal entre autres parce que sa mère venait de mourir et que c’était trop douloureux pour lui de rester là; en somme, il est parti pour changer d’air. J’en ai déduit que Same Ghost Every Night était une chanson qui parlait de cette perte."
Shine a Light est pour moi le climax de l’album, elle m’obsède depuis que vous avez lancé votre mini-album, l’été dernier…
"Il s’est passé toutes sortes de choses autour de l’enregistrement de cette chanson. Sa genèse a eu lieu dans une chambre d’hôtel à partir d’une ligne de synthétiseur. La chanson est née comme ça, très naturellement, et on a voulu l’enregistrer tout de suite. Ça s’est donc fait à Portland, mais la maquette de l’enregistrement original s’est perdue dans la poste et on n’a jamais pu remettre la main dessus. Alors on a dû la réenregistrer complètement à Montréal (dans un loft du Mile-End, sur de Gaspé). Il y a une sorte de mystère autour de cette chanson."
Le titre de l’album, Apologies to the Queen Mary, est lui aussi intrigant… Apologies ("Nos excuses") pour quoi exactement?
"The Queen Mary, c’est un bateau amarré à Long Beach (un port de Los Angeles) dans lequel on avait passé une couple de nuits, lorsqu’on était allé jouer dans un festival. Nos amis de Frog Eyes (un groupe dans lequel Spencer joue également) étaient en ville et on avait très envie de faire la fête sur ce musée flottant… Et comme on était un peu trop bruyants, le garde de sécurité nous avait permis d’aller dans une partie plus éloignée du bateau, sur le quai arrière, où ils ne laissent habituellement pas aller les gens, nous assurant qu’on allait pouvoir faire là autant de bruit qu’on le voulait sans déranger personne. Rendus là, on a découvert une porte et on l’a forcée: on s’est retrouvé dans un magnifique et somptueux ballroom. Ce qui nous a jetés sur le cul, particulièrement, c’est que près de la piste de danse, il y avait une plaque avec les noms de tous les princes, princesses, généraux, premiers ministres, hauts dignitaires politiques qui avaient foulé ce plancher. Toutes les grandes figures impérialistes avaient valsé dans cette salle, alors on en a déduit que le bateau était hanté. C’est là qu’on a décidé de convoquer le fantôme de Winston Churchill qui, malheureusement, ne s’est jamais manifesté. Pour tout dire, on avait un peu foutu le bordel dans la pièce et on a fini par se faire mettre dehors. On s’est fait dire par notre manager que, de toute l’histoire du bateau, on était le seul band à s’être fait jeter. D’où le titre et nos plus sincères excuses au Queen Mary et à son ballroom."
Le 18 octobre
Au Théâtre Plaza
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