Claude Lamothe : Ami de l'archet
Musique

Claude Lamothe : Ami de l’archet

Claude Lamothe lance un troisième album austère mais embrasé. Au carrefour du rock et des grands airs romantiques, il y a son violoncelle et ce qu’il sait en faire, lui qui, depuis le début, le sort de l’arrière-garde où il était confiné pour le propulser sur le devant de la scène.

"C’est comme si tu me demandais: pourquoi t’es tombé en amour avec elle? répond Claude Lamothe lorsqu’on veut savoir pourquoi le violoncelle. J’étais au cégep, j’avais vu des gens en jouer, je me suis inscrit à un cours et tout de suite ça a flashé: c’était la sonorité qui me "disait"." Petite pause. "Je suis amoureux de cet instrument et je n’ai pas d’autres prétentions que celle-là." Dans un coquet café du Mile-End où le violoncelliste vient en cachette faire ses mots croisés et regarder le hockey en buvant des latte dans un verre, tout au long de l’entretien, il sera question de métaphores amoureuses lorsque l’instrument dont il est virtuose sera évoqué. Après Nu et Cru, voici que celui qui a su faire aimer le violoncelle aux amateurs de rock lance Vivace (chez Analekta), son troisième album, à l’aube des 48 ans qu’il ne fait pas.

Sur ce disque, l’idée de pérennité en filigrane, la certitude que la vie finit toujours par l’emporter et que, dans cette vie-là, jour après jour, le violoncelle tient une place prépondérante. Par exemple, la suite première, Día a Día ("Jour après jour" en français), s’ouvre d’abord sur des cordes pincées pour s’élever sur des airs austères: c’est l’aube, l’ascension du soleil, le jour en train d’éclore qui, s’il faisait du bruit, sonnerait comme ça. Cette ouverture quasi sévère balance ensuite vers le mitan du jour après s’être emportée, on entend donc le soleil à son zénith qui, comme le veut son cycle, s’évanouit au crépuscule, retombant doucement avec la langueur caressante d’un tango nocturne et la certitude que tout recommencera demain.

On s’éloigne ici de Cavale, frénétique galopade en forme de fuite par laquelle Nu, son premier effort, s’ouvrait il y a de cela 10 ans. "En effet. On avait même tourné un vidéo assez destroy pour accompagner ce morceau. À la fin du clip, je détruisais un violoncelle sur un mur de ciment! Avec Vivace, c’est le contraire. Je ne veux plus fuir; j’ai envie d’être là." Mais ceux qui avaient été remués, à l’époque, par une pièce telle que Où est Bach seront heureux de retrouver ce je-ne-sais-quoi qui apaise dans la grave et embrasée Cathédrale de Bourges. Et aussi, toujours, de nombreux clins d’œil à Bach, comme sur tous ses albums. "Je le trouve pas pire, lui, rigole Lamothe. Dans les institutions d’enseignement, lorsqu’on t’enseigne comment faire une fugue, l’exemple, encore en 2005, c’est Bach. Trois cents ans plus tard, le modèle, c’est encore lui; c’est un Michel-Ange de la musique, le big boss, le maître des architectures musicales, sans l’ombre d’un doute."

S’entend aussi sur Vivace une certaine américanité qui s’explique ainsi: "Mes principales influences, dans le désordre, sont le classique, le rock (adolescent, j’écoutais Led Zeppelin, Alice Cooper et Black Sabbath) et le blues, donc un mélange d’Europe et d’Amérique: ce que nous sommes, finalement."

"FAIRE CHANTER UN BOEUF"

"D’un point de vue acoustique, qui est une branche de la physique, on dit du violoncelle qu’il serait l’instrument qui se rapproche le plus de la voix humaine, au niveau des harmoniques, avec le cor anglais", raconte l’ami de l’archet qui, sans jamais tomber dans quelque visée pédagogique, aime dévoiler l’histoire de cet instrument qui s’enserre comme un autre humain. En accompagnement du disque, dans le livret, les recherches du compositeur et musicologue Antoine Ouellette nous en apprennent sur son passé peu reluisant, sur la mauvaise réputation de cet instrument dont on jouait n’importe comment au 17e siècle, "assis (d’où la racine de son nom, "violon de selle"), debout, l’instrument posé sur un tabouret et attaché au musicien par une ceinture, ou encore à l’épaule comme un violon!", traité d’"âne bâté", de "misérable cancre", avant que ses premiers virtuoses ne le révèlent autrement, et à qui, tel qu’on le rapporte dans le livret, on fera des éloges équivoques tels que "Vous faites chanter ce bœuf comme un rossignol"!

"Mais la crème finit toujours par remonter sur le dessus!" poursuit celui à qui l’on doit la musique d’Eldorado, film-culte de Binamé, et qui a aussi travaillé à plusieurs reprises avec Carbone 14, composé une trame pour Albertine, en cinq temps, jouissive pièce de Tremblay montée il y a quelques années et jouée par le panthéon des actrices québécoises, en plus d’avoir entamé sa carrière chez I Musici, orchestre de chambre de Montréal dont il est aussi membre fondateur, avant de joindre les rangs du Nouvel Ensemble Moderne. "C’est dans la nature humaine d’être rébarbatif au changement. Mais de toutes les violes de l’époque, le violoncelle a fini par s’imposer dans la forme actuelle qu’on connaît, au même titre que certains accords que l’oreille moyenne n’est pas choquée d’entendre aujourd’hui, mais qui étaient inécoutables pour les gens il y a 150 ans."

Intéressé par le violoncelle comme instrument soliste d’abord et avant tout, Claude Lamothe fait encore aujourd’hui de la musique pour les mêmes raisons qu’à ses débuts. Ou presque. "Essentiellement, c’est une question d’amour. C’est un besoin, une passion. Avec le temps, on devient moins naïf, parfois blessé. Il faut que ce soit une histoire d’amour, sinon ça deviendrait absurde. Les gens pensent parfois que, parce que tu es établi, ça devient plus facile; or, c’est faux. On doit toujours se battre, on est aussi bon que la dernière affaire qu’on a faite, c’est toujours à recommencer. D’où me vient ce besoin, je ne saurais vous dire. "Il a peut-être de la neige sur le toit mais encore du feu dans le poêle", dit l’expression, et ça s’applique à mon cas… Quand t’es avec la même personne depuis longtemps, c’est plus comme au début, mais une flamme perdure, c’est pareil mais en même temps c’est plus pareil… Jouer, c’est peut-être pas loin de faire l’amour, finalement… C’est comme entrer dans une autre dimension."

Claude Lamothe
Vivace
Analekta / Sélect