Caïman Fu : Fantaisies quotidiennes
Caïman Fu évolue dans une classe à part. Croquant dans toutes les bonnes choses qu’offre la musique, la formation est arrivée avec un deuxième album des plus éclectiques. Entretien avec la comédienne Isabelle Blais, chanteuse et muse du groupe.
Le quotidien fredonne souvent la même chanson, un petit air banal dont on ne remarque plus la beauté. Pour le groupe Caïman Fu, l’ordinaire n’existe pas. Avec lui, tout prend des allures de fête foraine: les crocodiles ont du style; on s’épingle sur la corde à linge pour embrasser la foudre; les idées noires se déguisent dans les couloirs auditifs… Et c’est des parcelles de cet univers un peu loufoque que ses quatre membres livrent sur Les Charmes du quotidien, leur nouvel album pop rock aux accents légèrement cuivrés.
CÔTÉ GIVRÉ
Déjà, le concept de la pochette annonce assez bien les couleurs du groupe. Celle-ci montre les musiciens, heureux survivants d’une attaque surprise, barbouillés de vin, de jaunes d’œuf et de sauce tomate. "Le quotidien, ça peut être ben plate, mais ça peut être ben particulier aussi, ben piquant, ben fou… Pis c’est un peu ça l’idée, amener le côté banal avec un côté complètement grotesque", soutient au téléphone Isabelle Blais, alors aux îles de la Madeleine.
Cette douce folie, Caïman Fu la cultive depuis longtemps. Elle a d’ailleurs donné naissance à des textes et à des mélodies fort colorés sur son premier album éponyme paru en 2003. Le quatuor, qui a constaté à quel point cette terre était fertile, continue donc de semer au même endroit. Cela lui permet d’explorer davantage, de pousser plus loin une idée. "En fait, c’est un mélange de chansons qu’on avait déjà et de chansons qu’on a créées en cours de route, mais qu’on a toujours essayé de jouer en spectacle pour les tester, pour les voir live, explique la tête d’affiche du film Les Aimants en parlant du second opus. C’est aussi beaucoup des jams de fin de show, de fin de soirée. Ça part de là. On se laisse encore guider au gré de ce qui se passe, de l’improvisation, de nos humeurs qui vont varier. Ce que j’aime de ce disque-là, c’est que c’est la même chose que le premier. Mais chaque bulle, chaque chanson, est plus assumée. On y va à fond dans chacun des univers. Je pense que c’est aussi éclaté et aussi éclectique que l’autre. Sinon, plus…" Effectivement, le band ne se cantonne pas dans un seul genre. Il flirte tantôt avec des rythmes funky, tantôt avec des musiques résolument rock. Il se permet même de danser un étrange tango sur la chanson-titre du disque.
Toutes les pièces de l’album, à l’exception de C’est pas d’ma faute, ont été composées par Isabelle Blais. Si elles touchent à des thématiques différentes, elles dévoilent un grand optimisme envers la vie. "Il ne faut pas trop se prendre au sérieux, croit-elle. Je n’aime pas trop m’enfoncer dans le fait que tout est noir. Pour moi, c’est important. Si on pense juste à ce qui est négatif, il ne nous reste plus qu’à s’enterrer, à se cacher et à ne plus jamais sortir (rires). Je trouve qu’il ne faut pas s’en faire. Il faut en rire un peu." Selon elle, toute situation mérite d’être dédramatisée, voire ridiculisée. Un délicieux plaisir qu’elle s’est entre autres payé lors de l’écriture de Continuer son chemin, où elle déverse son fiel sur les "hivers qui s’éternisent" et les "films à gros budgets mal tournés". "Il y a un an et demi, je travaillais au théâtre, et j’étais à Paris. Les gars avaient "jamé" cette chanson-là. Il n’y avait ni mélodie ni paroles. Et ils m’ont envoyé ça. J’avais envie d’écrire quelque chose juste pour me défouler, d’écrire tout ce que je n’aime pas: les petits détails, les remarques, les événements que je déteste. C’est un peu parti à la blague, se souvient-elle. Je ne l’ai pas fait avec rage. Je l’ai fait en m’amusant à la limite."
UN PEU DE SÉRIEUX
La dérision teinte certes une part importante des Charmes du quotidien. Cependant, le sérieux n’est pas placé au rancart pour autant. "Moi, personnellement, ça me fait du bien d’être là où on est rendus. Pour le premier disque, on a misé beaucoup sur l’énergie et sur le côté léger. Et là, il y a un bon équilibre entre toutes les facettes du groupe, c’est-à-dire qu’on assume les côtés un peu plus noirs, sombres, tristes et mélancoliques."
Caïman Fu quitte ainsi la surface de certains sujets et plonge. Dans À deux mille ans d’ici, le groupe s’interroge sur l’avenir de la planète. "Serons-nous toujours? C’est une question que je lance. Je ne sais pas vers où on va, vers quoi ça va évoluer. Est-ce que ça va juste dégénérer ou ça va vraiment évoluer? Mais c’est sûr que mes impressions tout au long du texte sont qu’il n’y a pas vraiment d’espoir!" s’exclame Isabelle Blais en échappant un rire nerveux. Éternelle positive, la jeune femme ne déclare pas forfait. Elle espère que l’addition de gestes simples saura, un jour, renverser la vapeur. "Ce qui m’attriste, c’est que dans les villes, on se déconnecte un peu des autres et de nous-même. On essaye juste de vivre, de survivre, d’accumuler le plus de biens possible, le plus d’argent. On est vraiment des produits. Ce que j’essaye de faire, c’est d’avoir de vraies relations avec les gens, de ne pas jouer de game. De toute façon, on n’a pas de temps pour ça! J’essaye de profiter de ça et de propager la bonne nouvelle! Je pense que si tout le monde s’arrêtait à faire ça, on en arriverait déjà à une plus grande humanité."
Le 28 octobre à 20 h 30
Au Vieux Clocher de Sherbrooke
Caïman Fu
Les Charmes du quotidien
(Voxtone)