Daniel Boucher : Faire l’indépendance
Serein et sincère, Daniel Boucher se livre dans une tournée en chansonnier affranchi, sans gadgets ni artifices, seul avec sa guitare acoustique.
Lorsque l’on interroge Daniel Boucher sur la raison première d’un show solo acoustique chansonnier à ce stade-ci de sa carrière, 12 longues secondes de silence suivent. "Je vais être 100 % honnête avec toi: il y a un an, quand mon ancien gérant s’est rendu compte que toute La Patente ne levait pas à notre goût – le deuxième album et le spectacle -, il m’a suggéré ce concept, pour aller chercher un nouveau public. J’ai trouvé que c’était une bonne idée. Mais je ne serais pas capable de faire ça juste pour rejoindre du monde, ça paraîtrait sur scène. Comme, dans mon dernier spectacle, j’avais des projections, un gros band, un costume, etc., je me suis dit que ça me ferait du bien d’aller à l’opposé, dans le plus grand dénuement possible. Alors je vais jouer tout seul avec ma guitare."
Pas de détours ni de faux-fuyants avec Daniel Boucher. L’artiste semble avoir énormément mûri depuis la sortie éclatante, en 1998, de Dix mille matins, vendu à près de 110 000 exemplaires. L’an dernier, La Patente, album unanimement salué par la critique, n’a trouvé "que" 30 000 preneurs. Entre les deux, une décision lourde de conséquences: l’indépendance. Boucher quittait en effet GSI Musique et fondait son propre label, Boucane bleue. "Je voulais travailler avec des chums. J’avais une espèce d’idéal de pureté artistique, de liberté totale." De là à dire que La Patente a été un gros échec commercial… "Il ne faut surtout pas voir ça comme un échec, car je suis extrêmement fier de mon disque. Je sais que certains ont vibré, mais beaucoup d’autres ont décroché, ceux qui s’attendaient à avoir une deuxième Désise. Si tu compares à Dix mille matins, c’est sûr que c’est une méchante dégringolade, mais c’est moi qui ai payé cet album, il m’appartient; je suis libre, je n’appartiens pas à personne, et ça, ça n’a pas de prix. Sincèrement, je le ferais de nouveau. Ça ne m’intéresse pas de retourner dans une grosse boîte, qui a beaucoup de moyens et de bonnes idées, mais qui est aussi là pour vendre des disques, faire de l’argent. Là, j’ai le goût d’être libre et de subir les conséquences de ce choix; j’aime mieux vivre avec mes erreurs que d’essayer de me débattre pour obtenir quelque chose en demandant à quelqu’un d’autre."
Dans la chanson-titre de son deuxième opus, l’auteur-compositeur-interprète écrit: La patente tente de vendre / Ton âme blanche / Soit qu’on choisit d’se rendre / Soit qu’on se défend. À l’entendre expliquer son geste d’indépendance en cette fin d’après-midi pluvieuse, attablé dans un café de l’avenue Laurier, on a l’impression que Boucher lui-même a voulu s’extraire de la patente. "Oui, le plus possible. Ce disque, c’est la suite logique de Dix mille matins. C’est un lendemain de veille. Quand j’ai écrit mon premier album, j’aimais tout le monde et je pensais naïvement que tout le monde s’aimait. Mais j’ai déchanté depuis. La Patente, c’est le résultat de cette prise de conscience. Il est plus terrestre, plus raide. En plus, quand il est sorti, j’étais dans une espèce de bulle où ça ne me tentait pas de vendre, alors j’ai carrément occulté cette partie-là de l’opération. Sur le poster, je refusais qu’on indique "Album disponible en magasin", comme si je ne voulais pas qu’on fasse le lien avec l’aspect commerce de l’affaire. J’ai "bucké"! Je me suis mis à refuser de faire des entrevues, je suis arrivé avec des principes purs qui dérangent. Conséquence: on en a vendu quatre fois moins que le premier… En un mot, La Patente n’est pas l’album que la patente voulait que je fasse."
Le prochain n’est pas encore écrit et n’aura une fois de plus d’autre visée que de plaire à son créateur. Pour le moment, Boucher s’occupe de son fils, termine la maison qu’il construit de ses mains en Gaspésie, se prépare à interpréter Renfield dans Dracula en novembre et "rentre dedans" son spectacle chansonnier grâce aux bons soins de Michel Rivard. "Michel est arrivé dans le décor au moment où j’ai décidé que je voulais chanter mes tounes tout seul avec ma guitare. J’avais besoin d’un coach et ça ne pouvait pas être personne d’autre que lui. C’est un maître." Ensemble, ils ont réenregistré toutes les chansons car les versions endisquées étaient beaucoup trop arrangées pour être utilisées comme matériel de base. Mais comme le rappelle Boucher, "toutes ces chansons-là ont été écrites avec une guitare sèche, avec des accords qui se suivent, des mélodies. Comme Brassens, qui faisait des chansons de 7-8 minutes avec peu de variations, juste du baroum-papoum, baroum-papoum. Mon but avec Chansonnier, c’est de retrouver cette épuration, la quintessence de la création de chansons."
Le 27 octobre à 20 h
Au Centre culturel d’Orléans