Anik Jean et Ève Cournoyer : Dames de fer
Musique

Anik Jean et Ève Cournoyer : Dames de fer

Anik Jean et Ève Cournoyer, chanteuses québécoises au caractère bien trempé, seront toutes deux du Coup de cœur francophone pour y présenter leurs albums fraîchement sortis, une décharge électrique toutes guitares et voix dehors, ou une fissure poétique dans le monde des variétés tièdes.

Dans ce resto mexicain, Anik Jean et Ève Cournoyer soufflent un peu, après une séance photo de plus de trois heures pendant laquelle on les a métamorphosées en femmes fatales habillées en hommes. Ne manque que le cigare et le fantasme serait achevé. Une idée qui les amuse. Anik Jean, que l’on peut habituellement voir en blonde ou en brune, selon l’humeur, et qui ce jour-là porte des bottes de cow-boy blanches, rigole en nous confiant: "Je me fous de mon image, je peux arriver demain matin en tutu! Je ne suis pas juste attachée à un style; même en musique je suis comme ça. Sur scène, ça dépend comment je feel, je peux arriver en jeans et t-shirt ou en complet."

CHANTEUSES À VOIX?

Au-dessus des nachos, la discussion s’anime autour de leur organe de prédilection: la voix. Car elles savent toutes deux chanter, avec puissance et une riche palette de modulations. Leurs voix ont de l’ampleur, elles savent en user à bon escient, que ce soit en rock ou en chanson poétique violentée, comme c’est le cas d’Ève Cournoyer: "Chanteuse à voix? demande-t-elle, hagarde. Je n’ai jamais pris de cours de chant! J’ai commencé à chanter parce que je n’aime pas ma voix parlée! La voix, ça peut changer; à l’enregistrement, avec des effets, c’est très différent. Et sur scène, il paraît que je crie beaucoup plus." Ceux qui ont assisté à la dernière tournée de Richard Desjardins s’en souviennent, Cournoyer faisait sa première partie. Fan de Françoise Hardy, elle accorde une place prépondérante aux mots sans négliger l’importance des notes et des couleurs musicales: "Tu es toujours au service du texte que tu as écrit, ça dépend de ce que tu chantes. Moi, j’écris des poèmes, mais ça commence toujours avec une musique."

Si on lui parle de la force de sa voix, Anik Jean reste, elle aussi, dubitative: "Je ne sais pas trop, je peux chanter, mais je gueule pas mal aussi en show. J’y accorde de l’importance dans la mesure où si je faussais, je ne chanterais pas! Mais même quelqu’un comme Jane Birkin, il y a quand même quelque chose de beau dans sa voix. Je pense que c’est le timbre de voix d’une personne qui la définit. Sur mon album, j’ai joué beaucoup avec la voix; j’ai des chansons où il y a pratiquement 15 voix! J’aime utiliser la voix comme un instrument, alors peut-être que oui, finalement, je suis une chanteuse à voix!"

GUITARE HÉROÏNES

Ces artistes fortes et rieuses, si on croit cette rencontre organisée, avouent également leur passion pour la guitare, compagne et inspiratrice de leurs chansons. Cournoyer: "Je joue de la guitare pour écrire mes tounes. J’ai 36 ans, j’ai commencé à 25 ans, je ne serai pas là à 80 en me disant que j’aurais aimé jouer de la guitare!" rigole-t-elle en imitant une voix chevrotante de vieillard. Anik Jean: "J’ai commencé à 13 ans à jouer de la guitare, mais je ne me considère pas comme une guitariste pour autant. Je compose autant au piano qu’à la guitare, ce sont des instruments qui m’aident à écrire." Singulier parcours que celui d’Anik Jean, qui lançait Le Trashy Saloon récemment, les murs encore placardés de son affiche peuvent en témoigner: "J’ai été à Los Angeles pendant quatre ans, je jouais de la musique dans des bands. Je suis rentrée à l’été 2004, j’ai revu Jean Leloup, que je connaissais depuis six ou sept ans. C’est quelqu’un de généreux, qui te donne de son temps, qui croit en toi, c’est rare. Il m’a dit une couple de fois qu’il se voyait en moi, qu’il trouvait ça cool, une fille qui a du chien. Il m’a incitée à écrire en français. Mon album, ce n’était pas prévu, ça s’est fait rapidement, une belle surprise. Mes influences sont PJ Harvey, Nick Cave; mes chansons en anglais sont beaucoup plus dark… Je me disais que je ne serais jamais capable d’écrire en français, car c’est une langue tellement riche; faut que tu travailles tellement fort pour que ça ne sonne pas quétaine, que ça soit beau."

Anik Jean a choisi l’indépendance, mais appuyée d’une solide équipe: "Quand j’ai signé avec ma compagnie de disques (Tacca), les trois quarts de l’album étaient enregistrés, j’avais le contrôle total. C’est comme ça qu’il faut faire, je crois, dans cette business-là. Tu arrives et tu imposes ton style: ça, c’est moi, tu le prends ou non. Je peux faire ce que je veux, changer de look. Mais une chance que je les ai; côté marketing, ils m’aident beaucoup à vendre mon album, ils ont fait une belle job de promo."

Quant à Ève Cournoyer, après l’excellent Sabot-de-Vénus, voici que sort L’Écho, fabuleux second album, plus rock et direct que le précédent: "Je l’ai commencé au mois de juin, puis je suis entrée en studio au mois d’août. J’ai fait toute ma partie chez moi, les beats de drums, les arrangements. Puis, en arrivant au studio, les musiciens ont repiqué les drums, les guitares; ils ont refait des tracks plus solides. Je travaille maintenant avec une équipe et, pour les amener sur la route, c’est plus intéressant s’ils ont joué vraiment sur l’album. C’est plus humain ainsi, je ne suis plus seule." De sa tournée avec Desjardins, elle rapporte un sens du partage et peut-être une plus grande confiance en elle-même: "Richard m’a prise en première partie pour que les gens me découvrent, mais moi, j’ai appris aussi à me connaître, à travailler en gang. Ce qui est important, dans cette aventure, c’est le chemin initiatique, le grand sens de la vie; laisser une part d’éternel, c’est quelque chose que je vais toujours garder en moi."

Puissions-nous en profiter.

Anik Jean
Le 10 novembre

Ève Cournoyer
Le 11 novembre

Dans le cadre du Coup de cœur francophone
Au Théâtre Petit Champlain