Anik Jean, Ève Cournoyer et Paule Magnan : Cours de rockeuses
Musique

Anik Jean, Ève Cournoyer et Paule Magnan : Cours de rockeuses

Anik Jean, Ève Cournoyer et Paule Magnan seront de Coup de cœur francophone pour présenter leurs albums fraîchement sortis, décharge électrique toutes guitares et toute voix dehors, ou fissure poétique dans le monde des variétés tièdes.

Dans un resto mexicain, Anik Jean, Ève Cournoyer et Paule Magnan soufflent un peu, après une séance photo de plus de trois heures au cours de laquelle on les a métamorphosées en femmes fatales habillées en hommes. Ne manque que le cigare et le fantasme serait achevé. Une idée qui les amuse. Anik Jean, que l’on peut habituellement voir en blonde ou en brune, selon l’humeur, et qui ce jour-là porte des bottes de cow-boy blanches, rigole en confiant: "Je me fous de mon image, je peux arriver demain matin en tutu! Je ne suis pas attachée à un seul style, même en musique je suis comme ça. Sur scène, ça dépend comment je "file", je peux arriver en jeans et t-shirt ou en complet."

CHANTEUSES À VOIX?

Au-dessus des nachos, la discussion s’anime autour de leur organe de prédilection: la voix. Car elles savent toutes trois chanter, avec puissance, avec une riche palette de modulations. Leurs voix ont de l’ampleur, elles savent en user à bon escient, que ce soit en rock ou en chanson poétique violentée comme c’est le cas pour Ève Cournoyer: "Chanteuse à voix? demande-t-elle hagarde, je n’ai jamais pris de cours de chant. J’ai commencé à chanter parce que je n’aimais pas ma voix parlée. La voix, ça peut changer… À l’enregistrement, avec des effets, c’est très différent. Et sur scène, il paraît que je crie beaucoup plus."

Ceux qui ont assisté à la dernière tournée de Richard Desjardins s’en souviennent, Cournoyer faisait sa première partie. Fan de Françoise Hardy, elle accorde une place prépondérante aux mots sans négliger l’importance des notes et couleurs musicales: "Tu es toujours au service du texte que t’as écrit, ça dépend de ce que tu chantes. Moi j’écris des poèmes, mais ça commence toujours avec une musique."

Quand on lui parle de la force de sa voix, Anik Jean reste elle aussi dubitative: "Je ne sais pas trop, je peux chanter mais je gueule pas mal aussi en show. J’y accorde de l’importance dans la mesure où si je faussais, je ne chanterais pas! Mais même quelqu’un comme Jane Birkin a quelque chose de beau dans sa voix. Je pense que c’est le timbre de voix d’une personne qui la définit. Sur mon album, j’ai beaucoup joué avec la voix, j’ai des chansons où il y a pratiquement 15 voix! J’aime utiliser la voix comme un instrument; alors peut-être que oui, finalement, je suis une chanteuse à voix!"

Même son de cloche chez Paule Magnan, qui a appris la guitare à neuf ans et faisait paraître en mai dernier son premier album solo, Les Machines, après un passage par le groupe métal TSPC et chez Dan Bigras comme guitariste accompagnatrice: "Une chanteuse à voix, pour les Québécois, c’est Ginette Reno ou Isabelle Boulay. Mais il y a tellement de timbres de voix intéressants. En ce qui me concerne, j’aime bien la subtilité. On m’a dit que live, ça sonnait beaucoup plus gros, plus fort, mais comme je fais du rock, quand ça bûche autour de moi, mon timbre a tendance à s’amplifier, je mets plus de poumons dedans, c’est moins subtil, plus cru. Sur mon album, j’aime jouer avec les timbres, utiliser ma voix de tête, pour faire des textures."

Ses yeux, d’un vert terriblement beau, éclatent et pétillent en même temps que ses propos. Pleine d’entrain, Paule jubile d’enthousiasme à l’idée d’enfin lancer un disque après de si longues années: "C’est un album qu’on a fait en gang. J’étais très bien entourée: Rick Haworth, Jean-François Lemieux. Nous avons fait les choix ensemble, comme celui de mettre la voix moins forte dans le mix, pour monter les guitares et le drum." Ève Cournoyer l’interrompt: "Hé! C’est la meilleure guitariste au Québec, y’a-tu quelqu’un qui va l’écrire?" Meilleure, difficile à dire, mais méticuleuse, c’est certain: "Dans ma chanson Ville fantôme, il y a beaucoup d’ambiance, tu as l’impression que ce sont des violons, mais ce sont toutes des guitares que j’ai faites une à une."

GUITARE HÉROÏNES

Ces artistes fortes et rieuses, si l’on en croit cette rencontre organisée, avouent également leur passion pour la guitare, compagne et inspiratrice de leurs chansons. Cournoyer: "Je joue de la guitare pour écrire mes tounes. J’ai 36 ans, j’ai commencé à 25 ans, je ne serai pas là à 80 à me dire que j’aurais aimé jouer de la guitare!" rigole-t-elle en imitant une voix chevrotante de vieillarde. Anik Jean: "J’ai commencé à 13 ans à jouer de la guitare, mais je ne me considère pas comme une guitariste pour autant. Je compose autant au piano qu’à la guitare, ce sont des instruments qui m’aident à écrire."

Singulier parcours que celui d’Anik Jean qui lançait Le Trashy Saloon récemment. Les murs encore placardés de son affiche peuvent en témoigner: "J’étais à Los Angeles pendant quatre ans, je jouais de la musique dans des bands. Je suis rentrée à l’été 2004, j’ai revu Jean Leloup, que je connaissais depuis six ou sept ans. C’est quelqu’un de généreux, qui te donne de son temps, qui croit en toi, c’est rare. Il m’a dit une couple de fois qu’il se voyait en moi, qu’il trouvait ça cool, une fille qui a du chien. Il m’a incitée à écrire en français. Mon album n’était pas prévu, ça s’est fait rapidement, une belle surprise. Mes influences sont PJ Harvey, Nick Cave, mes chansons en anglais sont beaucoup plus dark… Je me disais que je ne serais jamais capable d’écrire en français, car c’est une langue tellement riche, il faut que tu travailles tellement fort pour que ça ne sonne pas kétaine, que ce soit beau."

Anik Jean a choisi l’indépendance, mais appuyée d’une solide équipe: "Quand j’ai signé avec ma compagnie de disques (Tacca), l’album était enregistré aux trois quarts, j’avais le contrôle total. C’est comme ça qu’il faut faire, je crois. Dans cette business-là, t’arrives et t’imposes ton style: ça c’est moi, tu le prends ou non. Je peux faire ce que je veux, changer de look. Mais une chance que je les ai côté marketing."

Quant à Ève Cournoyer, après l’excellent Sabot-de-Vénus, voici que sort L’Écho, fabuleux second album, plus rock et direct que le précédent: "Je l’ai commencé au mois de juin, puis je suis entrée en studio au mois d’août. J’ai fait toute ma partie chez moi, les beats de drum, les arrangements. Puis une fois en studio, les musiciens ont repiqué les partitions de drum, les guitares; ils ont refait des tracks plus solides. Je travaille maintenant avec une équipe, et c’est plus intéressant d’emmener ces musiciens sur la route s’ils ont vraiment joué sur l’album. C’est plus humain ainsi, je ne suis plus seule." De sa tournée avec Desjardins, elle rapporte un sens du partage et peut-être une plus grande confiance en elle: "Richard m’a prise en première partie pour que les gens me découvrent, mais moi j’ai appris aussi à me connaître, à travailler en gang. Ce qui est important dans cette aventure, c’est le chemin initiatique, le grand sens de la vie, laisser une part d’éternel, c’est quelque chose que je vais toujours garder en moi."

Puissions-nous en profiter.

Ève Cournoyer
Le 9 novembre
Au Lion d’Or

Anik Jean
Le 8 novembre
Au Lion d’Or

Paule Magnan
Le 11 novembre
Au Lion d’Or