Ariane Moffatt : Le fil d’Ariane
Ariane Moffatt, trois ans après Aquanaute, nous plonge à nouveau, avec Le Cœur dans la tête, dans un tourbillon de chansons électro-acoustiques introspectives, délicates, d’une beauté noire et groovy.
Verbomotrice, rieuse, enjouée: Ariane est une tornade. Sa face cachée se retrouve dans ses disques, au creux de ses paroles qui penchent vers l’intérieur, le sombre, le doute. Ce désir de fuite, ce repli vers le monde du rêve, elle le chantait déjà si bien sur Aquanaute: "Sous l’eau c’est tellement moins pesant / Je rince tout ce que j’ai en dedans / Sous l’eau c’est fou comme j’me détends / Je rêve de vivre dans un océan" (Dans un océan).
Le thème de la fuite revient sur Le Cœur dans la tête, son nouvel album, aux textes encore plus travaillés, ciselés. Dans la tranquillité d’un resto vide, un peu avant l’heure d’ouverture, Ariane s’explique avec franchise et sans fausse pudeur: "Ce que j’écris témoigne en partie de la difficulté de cohabiter avec son monde intérieur." Le texte de la chanson Le Cœur dans la tête le dit: on pense avec notre cœur et on ressent avec notre tête. "Des moments de confusion intérieure où tu ne sais plus si ton cœur et ta tête sont à la bonne place, comme si c’était des blocs Lego interchangeables, et où ça devient difficile d’être en paix intérieure."
ENGAGEMENT
Comme plusieurs artistes de sa génération, Ariane a choisi de s’engager socialement, de soutenir des causes qui lui tiennent à cœur, plutôt que de faire de la bonne vieille chanson engagée. La revendication s’exprime dans son discours, ses actes quotidiens. On se souvient qu’au dernier Gala de l’ADISQ, Pierre Lapointe a donné un coup de fouet à l’assemblée en déplorant le manque d’audace et d’ouverture de certaines radios commerciales. Ariane était ravie d’entendre ça et n’était d’ailleurs pas la seule: "J’ai trouvé ça fantastique comme statement. Tout de suite, quand il s’est exprimé là-dessus, on a senti dans la salle une espèce de: "Ah, merci!" Je trouve qu’il a raison. Sur le plan de la diversité et du goût du risque, ça fait pitié à quel point il y a un formatage; on manque l’occasion de découvrir des artistes qui savent aussi créer des hooks, des mélodies, des chansons qui ne sont peut-être pas dans le format déjà-vu mais qui sont de vraies belles tounes."
Ariane, citoyenne et artiste engagée? On peut le penser: "Dans ma création, c’est clair que ce n’est pas ça que je préconise, je ne fais pas de chansons engagées. Mais dans la vie, c’est autre chose. Là, je suis porte-parole de Jeunes musiciens du monde, la santé intérieure des gens me tient beaucoup à cœur, la santé psychologique. Je ne suis pas une fille très politisée, je ne suis pas près de ce qui se passe économiquement, je l’avoue." Très impliquée, elle explique en quoi ça consiste: "Ce sont deux frères de Québec, Blaise et Mathieu Fortier, qui ont fondé des écoles de musique un peu partout, dont une en Inde, afin de faire perdurer les musiques du monde et de permettre aux gens défavorisés de venir y étudier. Par la musique, les étudiants développent toutes sortes de qualités, tissent des liens."
ALBUM DE FAMILLE
Il y a chez Ariane Moffatt un sens aigu du partage, de la complicité et de la famille recomposée. Un groupe d’amis qui font de la musique ensemble et partagent les mêmes réalisateurs (Carl Bastien, par exemple, encore présent sur son nouveau disque). "J’ai commencé à travailler sur Aquanaute alors que je collaborais avec Marc Déry sur son premier album solo. Quand je jouais des claviers aux spectacles de Daniel Bélanger, mon album était déjà en production." Elle visait déjà une carrière solo et s’escrimait pourtant chaque soir afin de faire décoller encore plus haut les chansons de son ami Bélanger. Le public n’était pas dupe, il savait apprécier la claviériste à sa juste valeur: "Il y a une différence entre quelqu’un qui accompagne et un autre qui a un univers personnel à livrer."
La fille aux claviers derrière Bélanger a pris son envol. Rapidement. La voici au sommet, friable colline d’où tout artiste peut dégringoler rapidement. Alors la chanteuse consolide son univers, alimente son œuvre avec un DVD live à la Station C, véritable caverne d’Ali Baba pour les amateurs, un format précieux: "Le DVD, ce n’est pas vraiment une mode, mais un nouveau médium. C’est intéressant aussi pour des artistes qui sont très près de l’image, car le fait d’écrire donne parfois envie d’intégrer l’image à ton travail créatif. L’expérience du spectacle Aquanaute et celle de l’album, ce sont deux mondes différents. On a fait plus de 110 shows, avec une équipe tissée serré. C’était important de le sortir en DVD comme un album de famille."
PARIS-MONTRÉAL
Avec l’automne, le nouveau Ariane Moffatt arrive. Le joliment titré Le Cœur dans la tête séduit d’emblée, accroche l’oreille avec ses chansons voluptueuses un brin plus calmes, d’une beauté encore plus noire, dont les propos plus sombres ne se dissimulent plus derrière un ouragan dansant: "L’électro est plus organique, plus épuré, moins léché, moins arrangé, moins planant. Ça ne me tentait pas d’avoir des flaflas, trop d’effets de reverb dans ma voix. C’est un peu plus agressif dans le sens où je le qualifie de rhythm and grunge (R&G), un mélange de guitares rasoir qui cohabitent avec du groove. J’ai été inspirée par le disque Pressure Chief du groupe Cake." Moins d’enrobage sonore afin de mieux y raconter ses histoires introspectives, toutes fébriles et remplies de questionnements.
Ariane lorgne désormais du côté de la France, où elle a commencé à donner des spectacles et où l’on trouve désormais depuis quelques jours à peine son album Aquanaute. La chanteuse voit cette sortie en sol français comme une carte de visite, un avant-goût du nouveau-né. Ce Cœur dans la tête, elle l’a élaboré en partie de l’autre côté de l’Atlantique. L’histoire commence avec le chanteur et maître guitariste M: "Quand j’ai fait le remix de sa chanson La Bonne Étoile, j’ai joué avec lui au Métropolis, et il m’a dit: "Écoute, viens-t’en!" On est partis à Paris pour faire l’émission La Musicale de Canal +. Je suis restée en France trois semaines, alors qu’à l’origine je devais partir au Mali, histoire de me retrouver après tout ça, Aquanaute, le deuxième album… J’ai annulé le Mali. À Paris, on a commencé à jammer ensemble sur des maquettes, dont Le Cœur dans la tête. Je l’ai développée avec lui."
Suivent le retour à Montréal, les excursions d’Ariane à son chalet afin de concocter ce second album musicalement assez éclectique mais bien soudé, sur lequel on trouve du reggae-dub, une reprise de Daniel Bélanger (L’Imparfait) et l’étonnante Farine Five Roses avec la participation de Motus 3F, un duo qui ouvrait récemment le spectacle de Yann Perreau: "C’est un duo totalement vocal formé de Dominique Hamel et Dominique Laguë. Deux garçons qui font des beats avec leur bouche, qui utilisent leur voix en show en improvisant tout le temps. Ils ont tout ce qu’il faut pour se looper, se monter des chansons en direct, mais toujours par la voix." Côté création vocale, elle s’avoue inspirée par le disque Le Fil de Camille: "Elle a repris, pour une émission de radio, ma chanson Poussière d’ange; c’est un hommage incroyable, c’est la chanteuse qui me fait le plus triper!"
Ariane Moffatt tisse une toile musicale et poétique qui s’étend désormais sur deux continents. Délicate musicienne, elle a le cœur au bout des doigts.
Ariane Moffatt
Le Cœur dans la tête
(Audiogram)
En magasin le 16 novembre