Bell Orchestre : Les grands espaces
Musique

Bell Orchestre : Les grands espaces

Avec Bell Orchestre, projet expérimental et ambitieux créé par le grand roux et la violoniste surdoués d’Arcade Fire, les cloches carillonnent et les cors chantent. Rencontre avec Richard Reed Parry juste avant le grand retour.

Le jour de l’entrevue, Richard Reed Parry, cofondateur de Bell Orchestre avec Sarah Neufeld et l’un des enfants chéris d’Arcade Fire, nous parlait en direct de l’aéroport de Las Vegas. Envols d’avions en fond sonore, écho de la voix de l’annonceur des départs en partance pour partout dans le monde, les voix de passants pressés: tous ces bruits parvenaient jusqu’ici via le cellulaire de notre rouquin préféré de la scène musicale montréalaise (avec Olivier Langevin). "Nous (Arcade Fire) avons donné quelques concerts au Brésil et un autre, hier soir, à Las Vegas. Aujourd’hui, nous rentrons à Montréal." Soupir de soulagement. L’idée de rentrer au bercail plaît à celui qui trimballe ses instruments d’un pays à l’autre en compagnie de l’un des groupes les plus adulés de la planète rock.

Né parallèlement à Arcade Fire, Bell Orchestre, quintette instrumental tout aussi prodigieux que son grand frère par la fesse gauche, naquit en 1999 pour accompagner un spectacle de marionnettes (!). "Puis un show de danse contemporaine. À ce moment-là, Sarah et moi étions étudiants à l’Université Concordia. On improvisait beaucoup et ce projet nous excitait au plus haut point. Bien sûr, Arcade Fire a pris énormément de place dans ma vie, les gens ont réagi de façon très enthousiaste et nous avons répondu à la demande. Mais je n’ai jamais eu l’intention d’abandonner ce projet."

Plus expérimental qu’Arcade Fire, dépourvu du côté pop-mélodique ravageur de ce dernier, défrichant des terres post-rock autant que des espaces traditionnellement investis par la musique de chambre, mijotant des compositions aux structures éclatées, étonnantes, Bell Orchestre, c’est l’histoire de passionnés d’Arvo Pärt – mais aussi d’Aphex Twin, d’Autechre et du Penguin Café Orchestra – qui tripotent toutes sortes d’instruments habituellement relégués au second plan: cor, clochette, xylophone, trompette, violon fulgurant, mélodica, cymbales glacées, machine à écrire… Mais d’abord et avant tout, c’est l’histoire d’un désir vif d’appropriation de l’espace, héritage légué par le grand compositeur estonien, né en 1935: "Ce que nous retenons d’Arvo Pärt, s’enthousiasme Parry, c’est cet incroyable sens de l’espace, cette idée que l’on peut composer quelque chose de très délicat, mais qui s’engage dans une dimension vaste, un truc tout simple qui finit par avoir beaucoup d’impact. Et ainsi couvrir une riche palette d’émotions. Par exemple, on peut écouter sa musique et osciller entre une grande tristesse et un bonheur fou d’être vivant. Écouter ses compositions m’amène à me repasser en mémoire des souvenirs que je ne savais même plus que j’avais en tête."

Outre ce sosie de Napoléon Dynamite (basse, claviers, percussions) et la stupéfiante violoniste Sarah Neufeld, Bell Orchestre réunit Stefan Schneider (IKS) à la batterie et aux percussions, le joueur de cor français (qu’on a déjà vu se produire en spectacle avec la bande de Win et Régine) et membre de Thorngat Pietro Amato et, enfin, Kaveh Nabatian (trompette et mélodica). Bref, on est ici en présence de musiciens doués qui peuvent se permettre d’être ambitieux.

Mais, au-delà de leur grande culture musicale et d’une virtuosité qui n’est plus à démontrer, ce qui fait la richesse de la formation, c’est son fabuleux pouvoir d’évocation: Bell Orchestre est une véritable machine à faire naître des images mentales. Ainsi, Recording a Tunnel…, plage 5 de l’album joliment intitulé Recording a Tape the Colour of the Light, évoque un navire s’engageant avec une sorte de tranquillité grandiloquente dans un port fantôme au milieu d’une nuit brumeuse. "Quand nous avons composé The Upwards March, l’image qui m’est venue en tête est celle-ci: j’ai connu plusieurs personnes qui sont décédées dernièrement et j’imaginais leur esprit en flottement dans l’air ambiant, un peu comme si c’étaient des anges, mais pas tout à fait, en train d’observer les êtres vivants, veillant sur eux."

Enregistré un peu partout, dehors, dans la maison, en studio (Hotel2tango) et même sous le canal Lachine, tout près du quartier Saint-Henri, "parce que l’acoustique y est extraordinaire", le premier effort de la formation, lancé sur la prestigieuse étiquette Rough Trade, éveille déjà les passions et permet de se propulser vers d’autres contrées sans se préoccuper du retour. Qu’écoutera Richard Reed Parry dans l’avion qui le ramènera jusqu’à nous? "Mount Eerie des Microphones et les suites de Bach par Edgar Meyer." Embarquement prévu dans quelques heures.

Bell Orchestre
Recording a Tape the Colour of the Light
(Rough Trade)

Le 14 novembre
Au Kashmir
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