Buck 65 : L'obscure beauté
Musique

Buck 65 : L’obscure beauté

Buck 65 ne mâche pas ses mots, que cela soit en poésie ou en entrevue. De l’apathie générale post-11 septembre aux diktats corporatifs du bon goût, le plus musical des rappeurs s’interroge et parvient à dégager de la noirceur quelques lueurs égarées.

Ce qui impressionne à interviewer Buck 65, outre sa grande amabilité, c’est à quel point il peut optimiser un mince quart d’heure d’entretien, fond, forme et quantité d’information confondus. Un peu comme on reste fasciné devant la multitude de mots, d’idées et d’émotions vives gorgeant le livret et les plages de son plus récent disque, Secret House Against the World (Warner). Il est vrai que les premières écoutes peuvent s’avérer déroutantes: on saute allègrement du blues au country, on bifurque soudain en terrain classique avant de s’enfarger dans un vigoureux funk "punké", pour ensuite léviter doucement sur un folk ténébreux. Le rap est taillé au scalpel, les écorchures se dénudent et désarment, alors que la musicalité s’élève bien au-delà de ce que le rap ou le hip-hop nous réserve habituellement, merci cette fois aux précieux collaborateurs de la formation Tortoise. "C’est amusant parce que la première fois qu’on a envoyé l’album à la presse, plusieurs ne savaient pas trop comment le prendre et semblaient ne pas trop aimer", rapporte le Néo-Écossais maintenant installé à Paris. "Et plus tard, ils ont appris que les musiciens de Tortoise y jouaient, alors: "Oh! Tortoise! Super! J’adore ce disque!" Non mais vous vous foutez de ma gueule? Êtes-vous à ce point stupides que vous ne savez pas ce que vous aimez ou non? s’exclame-t-il. C’est vraiment inconcevable pour moi qu’aujourd’hui, tant de gens ne sachent pas ce qu’ils aiment ou non, et qu’on doive le leur dire", poursuit-il entre deux sessions d’enregistrement dans un studio d’Halifax. En plus d’éventuels extraits de son prochain recueil, l’artiste y conçoit quelques morceaux destinés à la version états-unienne de Secret House, attendue là-bas au printemps.

Autant il peut s’inquiéter de l’incapacité des gens à juger par eux-mêmes, autant il s’explique mal l’indifférence du monde devant une époque aussi critique. "Même après ce truc immense que fut le 11 septembre, j’ai été très étonné de constater à quel point cela a si peu affecté les gens, combien si peu a été fait par la suite, confie-t-il. Je m’attendais à des soulèvements, à plus de réactions. Puis, avec cette guerre de merde en Irak, je croyais revoir quelque chose comme le mouvement de protestation des années 60, mais ça n’arrive pas. On est vraiment dans une sorte d’étrange Candyland; les gens sont si détachés… Je ne sais pas avec quelle vigueur il faut gifler quelqu’un pour qu’il se réveille, mais je commence à penser qu’on est endormis pour la perpétuité et qu’on se dit: "Bah, c’est leur boulot à Ottawa ou à Washington de régler tout ça; ce n’est pas mon problème." C’est dommage… Et en même temps, je trouve très inspirant de voir ces jeunes à Paris dire: "Allez vous faire foutre; on va mettre le feu partout jusqu’à ce que vous nous écoutiez!" Je suis heureux de voir ça. C’est étrange de l’admettre, mais je suis heureux de voir ça…"

Car s’il reconnaît avoir vécu de rudes épisodes et être un abonné aux soucis, Buck 65 y trouve aussi sa source primaire d’inspiration. Puis à ceux qui le trouvent trop sombre, il rappelle le caractère subjectif que peut revêtir le concept de beauté. "Beaucoup de choses que les gens trouvent horribles ou laides sont pour moi superbes. Par exemple, lorsque je regarde certains trucs culturels populaires, ou bien les standards de beauté physique, comme ces femmes dans les magazines, les films ou à la télé, je trouve cela très ennuyant et très peu inspirant; ça n’éveille absolument rien en moi. Mais quand je vois des gens avec du vécu sur le visage, quelque chose d’un peu brisé, c’est là que mon cœur commence à battre et que j’ai envie d’écrire quelque chose…"

Le 19 novembre à 20 h
À l’Impérial
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