Le Balattou : La filière tropicale
Le Balattou célèbre ses 20 ans et poursuit les festivités jusqu’au 8 décembre. Rencontre avec l’âme de ce petit temple des musiques du monde ayant pignon sur la Main, le mystérieux Lamine Touré.
Le 8 août 1985, le Balattou ouvre ses portes sur la Main avec une soirée tropicale et remplit son plancher de danse. Vingt ans plus tard, le grand panneau néon vertical en noir et blanc est encore allumé comme un phare, coin Marie-Anne et Saint-Laurent. Même que, jusqu’au 8 décembre, 200 artistes vont continuer de défiler sur cette scène exiguë pour pas une cenne. Pour dire merci à Lamine Touré, pilier de l’endroit, âme du Balattou, symbole placide de l’opiniâtreté. Pour honorer ce petit sanctuaire des musiques arabes, latines, africaines et créoles qui fut le premier à leur ouvrir une porte, le premier aussi, à Montréal, à programmer des noms comme Papa Wemba, Baaba Maal, pour ne citer que ces superstars africaines.
"Il n’y avait pas beaucoup d’Africains à Montréal, se rappelle Touré. On se connaissait tous. J’avais ouvert le Café créole sur Sainte-Catherine avec, comme associé, le jeune Alex Boicel, un Guyanais. À la porte voisine, son père Doudou tenait la fameuse boîte le Rising Sun et jouait du disco. Nous, on invitait des étudiants en jazz de McGill et on faisait des soirées concerts à 2 $, pour le plaisir. Et puis, un beau jour, Doudou a récupéré le jazz. Il avait des connexions, était beaucoup plus fort que nous. Assis sur le trottoir d’en face, j’ai dit à Alex: "On va faire tropical!""
Touré finit par racheter un petit club de 150 places à deux pas du Parc des Portugais. Dans la vraie vie, il devient le septième occupant d’un local miteux où tous ses prédécesseurs, du topless jusqu’au billard, viennent d’échouer lamentablement. Pas superstitieux, le patron guinéen a gardé intacte dans son bureau une nature morte complètement quétaine qui avait une valeur sentimentale pour l’ancien patron italien.
Au-dessus de la porte, il y a encore le crucifix en osier et une plume d’oiseau léguée par son grand ami percussionniste Michel Côté, celui qui l’appelait "papa". Drôles de fétiches pour un musulman! Mais Touré est comme ça. Un besogneux qui fait tout tranquillement et sans déranger les choses. Personne ne sait où il habite; une légende urbaine murmure qu’il se terre dans un antre sous son club auquel on n’accède que par une trappe secrète. En tout cas, personne ne l’a jamais vu sans couvre-chef. Toujours vêtu d’un boubou ou d’une chemise africaine, il est le vieux sage qui connaît le secret de l’endurance.
Parce qu’on y danse tous les week-ends depuis des lustres, ce "bal à tous" que Touré voulait si rassembleur est devenu le repère des dragueurs les mieux sapés et s’est forgé chemin faisant une sacrée réputation. Méprisé par les snobs, ce petit temple des musiques du monde dont le nom mythique résonne jusque dans des pays fort lointains s’est transformé dans le murmure de la rumeur en territoire de chasse où de blondes québécoises en mal d’exotisme allaient flirter avec l’inconnu, pour dire ça joliment.
"La drague fait partie de notre culture, affirme le boss, sans fausse pudeur. L’homme doit parler à la femme, il faut qu’il se fatigue un peu. On dit que les Africains sont collants mais chez nous, on n’est jamais seuls. Au début, on était contents juste d’avoir du monde, même si les clients ne consommaient pas grand-chose. On voulait donner la valeur de notre culture".
Suzanne Rousseau renchérit. Cette Québécoise qui a commencé toute jeune et naïve au Balattou est devenue la patronne de l’organisation Nuits d’Afrique: "Ce sont des gens simples et tellement naturels. Oui, on se fait aborder mais c’est clair et sans ambiguïté. Et il y a toujours le respect total. Malgré ce qu’on raconte, le Balattou est rempli de femmes qui viennent danser seules, s’amusent et repartent toutes seules, tranquilles".
Le Balattou, c’est un endroit où il n’y a jamais d’histoires mais qui a toute une histoire.
Si le club tropical par excellence à Montréal a survécu à tous ses concurrents de l’époque, tels le Boabad, le Keur Samba et Isaza, c’est qu’il a le grand mérite d’accueillir toute l’année des musiques qu’on peut rarement entendre ailleurs. C’est en souvenir de leurs propres performances mémorables qu’une foule d’artistes bénévoles viennent ici se produire au cours des soirées thématiques portes ouvertes. Le 24, la soirée Les Griots et Ambianceurs rassemble des gens du Mali, du Burkina, du Congo et de l’Angola. Le dimanche 27, pour la soirée À bout de souffle, la musique rasin d’Haïti, Senaya rejoint son ancienne formation de Sunroots et l’animateur de Paysage Afromonde Hernry Ngaka reprend son micro de chanteur. Le mardi 29, on peut entendre la chanteuse argentine Slivia Abash et le 30, on déménage en Haïti avec, entre autres, les légendaires Joe Trouillot et Eval Manigat.
Les 20 ans du Balattou
Jusqu’au 8 décembre
Voir calendrier World / Reggae