Noir Désir : Le grand incendie
Musique

Noir Désir : Le grand incendie

Noir Désir sort un incendiaire double album enregistré en public, comme un dernier salut avant de partir. Son batteur Denis Barthe revient sur sa conception, sur l’ultime tournée avant le drame.

"Écoutez, je ne vais pas trop mal, on a une belle journée ensoleillée, alors on en profite…" Même les questions en apparence banales prennent une tournure dramatique. Cette faille dans la voix de Denis Barthe, au bout du fil, tout admirateur de Noir Désir pourrait la pressentir, la comprendre. L’heure est à la promo, mais aussi, forcément, au chagrin, puisque le spectre de Bertrand Cantat hante nos mémoires, se pointe dans les réponses malgré des questions volontairement imprécises, pudiques. De la tristesse dans l’air, dans la tonalité des voix. Des silences. On pense aux vies gâchées, aux déchirures, à la solitude, à la carrière foutue d’un des plus grands groupes de rock français.

Le mélomane voudrait bien parler du grand incendie allumé il y a 20 ans par Noir Désir, de la puissante décharge électrique qui secoue chacun de ses albums, de cette fièvre poétique et rock. Malheureusement, depuis les événements de Vilnius, Marie Trintignant est sous terre et Bertrand Cantat, derrière les barreaux. On perd en même temps une grande actrice et un chanteur de feu. Déchirures.

Trois ans après sa dernière tournée pour Des Visages, des Figures, Noir Désir se relève et sort enfin ce splendide double album en public: "En 2003, au moment de Vilnius, on était en train de travailler sur ce live, on avait avancé le mixage. Et puis voilà, il s’est passé ce qui s’est passé… On a tout mis dans nos cartons, on a oublié par force tout ce qui était musique pour se concentrer sur le malheur qui était arrivé et comment on pouvait faire face à ce drame. Bertrand a été jugé, puis rapatrié en France. Et ce n’est qu’une fois qu’il a commencé à purger sa peine en France qu’on a recommencé à penser à ce disque live. On l’avait laissé en suspens, c’était la première fois que l’on n’achevait pas quelque chose. Lors d’une visite en prison, on a discuté tous les quatre pour savoir si on allait le terminer ou non, après un silence volontaire de deux ans pour ne pas choquer les proches et les moins proches. Mais là, il était peut-être temps qu’on se retourne vers la musique, vers quelque chose de positif", raconte Barthe, la voix fêlée. Néanmoins, il garde l’espoir que revive un jour son groupe, mais pas question de combler le vide en embauchant un nouveau chanteur en attendant Cantat: "Il ne se passera rien sous le nom de Noir Désir sans Bertrand."

On parle à Barthe des admirateurs, nombreux, qui ont beaucoup de difficulté à réécouter Noir Désir depuis la tragédie de Vilnius: "On a lu ça dans la presse, dans pas mal de journaux en France, mais on a rencontré personne qui nous l’ait dit en face. On n’a pas reçu de lettres non plus, on n’a rien reçu de négatif de la part du public. Ça nous a surpris. car on s’attendait à ce qu’il y ait de mauvais retours, on l’aurait compris et accepté. Côté public, on n’a croisé que des gens qui ont été vachement réconfortants, solidaires de ce qui nous arrivait."

En 20 ans de carrière, seulement deux lives de Noir Désir sont sortis. Le premier, Dies Irae, en 1994, et celui-ci, En public, paru récemment: "Les choses se sont faites comme cela. Sur les tournées d’avant, on n’avait pas spécialement enregistré nos concerts, c’était plus léger. Mais cette fois-ci, ce n’était pas la même chose. Sur Des Visages, des Figures, on a travaillé différemment, on a inclus pas mal de samplings, des sons synthétiques, on n’a pas joué nécessairement sur nos instruments de prédilection, c’est-à-dire qu’on n’était pas toujours à la guitare, à la batterie et à la basse. Au moment de monter la dernière tournée, on s’est dit que c’était le moment de revisiter nos anciens morceaux de la même manière. On a procédé à deux mois de répétitions pour réarranger nos anciens titres pour qu’ils collent avec les nouveaux." Et comment s’est constitué le répertoire? "On a noté tous nos morceaux sur un grand tableau et on a choisi à l’unanimité ce que nous voulions jouer. On a la chance de se retrouver dans nos choix communs, ce n’est pas arrivé qu’il y ait de grosses discussions. Un seul morceau nous a divisés: L’Appartement, que nous voulions faire et pas Bertrand. Dans Noir Désir, il suffit qu’un seul membre ne soit pas d’accord pour qu’on ne le fasse pas…"

En plus de ses chansons originales, Noir Désir reprend sur ce double album Ces Gens-là de Jacques Brel ainsi qu’une surprenante relecture de 21st Century Schizoid Man de King Crimson: "On en parlait depuis au moins 10 ans. Ce qui nous a décidés à s’y attaquer, c’est l’arrivée dans le groupe de Christophe Perruchi aux claviers et sampleurs. On l’a répétée comme ça, à la volée, en un après-midi."

Démocratie et urgence chez Noir Désir, mêlées au goût de la poésie de son chanteur: "Le texte de Ce n’est pas moi qui clame est d’un poète hongrois, Jozsef Attila. Un jour, pendant le sound check, Bertrand a lu ce poème. Et nous, on est partis sur des ambiances musicales. À la fin, on a décidé de le jouer le soir même. La musique était de l’impro totale."

Le grand incendie de Noir Désir n’a pas fini de brûler, rouge et noir, zébrures de beauté rock.

Noir Désir
En public
(Universal)