Stéphane Sednaoui : Signé Sednaoui
Musique

Stéphane Sednaoui : Signé Sednaoui

Le charismatique Stéphane Sednaoui a signé plusieurs des clips les plus marquants de la décennie 90, ceux de U2, Red Hot Chili Peppers et Björk. Le voici à Montréal pour en discuter dans le cadre du Resfest.

Il faut voir comment les plus grandes rock stars de la planète parlent de Stéphane Sednaoui, réalisateur de plusieurs des clips les plus percutants de la décennie 90: Mysterious Ways de U2, Give It Away des Red Hot Chili Peppers, Big Time Sensuality de Björk. Il faut voir Bono s’incliner devant le charme dévastateur du vidéaste, raconter en entrevue à quel point, sur le plateau de tournage, le plus cool, celui qui fait fondre les demoiselles, c’est toujours Sednaoui, charismatique beauté mâle "greyée" d’un accent français plus gros que le bras.

Il faut aussi entendre Michael Stipe, chanteur de R.E.M. qu’on ne voyait presque jamais apparaître dans les clips du groupe, pas tellement à l’aise avec son image, raconter comment il en est venu à se donner aussi généreusement lors du tournage de Lotus, dans lequel il apparaît torse nu, offert et sexy. Ou encore la chanteuse écossaise Shirley Manson (Garbage) – Sednaoui a mis des images sur Queer, un des premiers succès du quatuor – raconter en rougissant que cet étonnant tournage, dans lequel la caméra subjective, déposée sur l’épaule de Sednaoui, la suivait partout en se laissant ensorceler, fut pour elle une expérience quasi érotisante… (toutes ces entrevues de même que les clips en question sont réunis sur le DVD portant sur Sednaoui, paru dans la série The Work of Director, disponible en importation seulement pour le moment et dont la distribution canadienne devrait être conclue sous peu).

Joint à son studio de New York où il fait des allers-retours entre pub et photo, le Français exilé tente de répondre à "sa question préférée": Comment se fait-il que ces artistes (parmi lesquels des tempéraments bien trempés, des cas qui ne se laissent pas facilement approcher, comme le ténébreux Tricky) soient à ce point généreux avec lui quand vient le temps de se prêter à l’exercice du vidéoclip? "À la base, j’aime leur musique et les artistes eux-mêmes; je pense que ça se sent. Aussi, mon approche n’est pas égoïste au sens où je ne fais pas ça dans l’unique but de me faire plaisir à moi. Si un jour je bosse sur des films ou sur un projet personnel, alors ce sera différent. Mais lorsqu’on m’appelle pour mettre des images sur une chanson qui existe, je comprends le message: il faut respecter la vision de l’artiste et l’émotion qui est véhiculée par la chanson."

Mettre des images sur une musique: c’est là, précisément, que quelque chose de magique survient, car le vidéaste écoute la musique bien avant de s’attarder aux paroles, il y va d’instinct: "Même si je ne fais pas gaffe aux paroles, en général, quand je confirme avec le texte, ça fonctionne, parce que quelque chose est passé dans l’émotion de la voix, le message a traversé la musique et cela s’entend, au-delà du texte."

LE STYLE SEDNAOUI

Give It Away (Red Hot Chili Peppers), un clip signé Sednaoui.

"Je suis photographe à la base, du moins c’est comme ça que j’ai démarré", en mode et pour la pub. D’où en partie la grande beauté d’images flamboyantes. Notre petite théorie, c’est que la sensibilité de Sednaoui a beaucoup à voir avec le rock et que ceci explique bien des choses, du moins la réussite de l’alchimie images/chanson. Ses films, des poèmes glauques et sexués très proches de l’univers de la photographe et artiste visuelle américaine Nan Goldin, sont écartelés entre plusieurs pôles attracteurs: l’érotisme, le désir, la douleur et la perte. On pense ici à son court-métrage inspiré de Walk on the Wild Side, du génial Lou Reed, collé au monde des prostitués, ou alors au clip de Sometimes Salvation des Black Crowes qui mettait en scène Sofia Coppola dans le rôle d’une vénus urbaine un quart junkie, trois quarts paumée. "Je suis attiré par la perdition. C’est quelque chose que j’ai eu la chance de ne pas connaître, je ne suis jamais tombé dans la drogue… Et pourtant je me sens assez à l’aise avec cette thématique."

La caméra de Sednaoui est investie dans son sujet, elle fait corps avec lui, le rejoint par le regard et dans le mouvement. Dans les clips, le corps est à l’avant-plan: geishas en feu pour Disco Science de Mirwais, torse blême de Stipe pour Lotus, les lèvres noires et mobiles d’Anthony Kiedis pour Give It Away, tourné dans une sorte de désert argenté, étincelant, tous les petits gestes craquants de Björk dans Big Time Sensuality… Sednaoui n’en manque pas un. "Le passage de bonheur à douleur, les états troubles, la perte de soi puis le fait de se retrouver… Les fractures: voilà ce qui m’intéresse."

Une dernière question que l’on croyait difficile, mais à laquelle la réponse apparaît comme une évidence: la plus belle chose que l’œil avisé de Sednaoui ait jamais attrapée? "Ma fille de quatre ans. Pas d’autre réponse possible, c’est la vision qui me rend dingue", conclut-il en préparant sa seconde virée à Montréal alors qu’il viendra, en compagnie du cinéaste Michel Gondry, présenter ses clips, rencontrer les intéressés et répondre aux questions.

Le 25 novembre
Avec Michel Gondry
À Ex-Centris
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LE RESFEST: CE QUE ÇA MANGE EN HIVER…
Ce nom vous dit quelque chose, mais sans plus…? Normal. Le Resfest est un festival itinérant qui traîne ses bobines de San Francisco à Melbourne, en passant par Londres, Tokyo et désormais Montréal. Articulé autour des développements de la culture numérique, obsédé par l’image mais dans le bon sens, le Resfest présente des œuvres marquantes signées par les grands noms du cinoche, de la zizique et de la pub. Le mélomane montréalais trouvera son plaisir lors du rendez-vous avec Sednaoui, certes, mais aussi lors de la rétrospective des vidéoclips du bouillant Beck, avec Cinéma Électronica (collection des meilleurs clips de la scène électro), sans oublier le pendant rock de l’affaire, au cours duquel vous irez jubiler devant les clips des plus exaltants groupes de l’heure: Arcade Fire, Bloc Party, LCD Soundsystem, Interpol, The Shins et compagnie. Horaire et info au www.resfest.com.